Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/628

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Une fois le pied dans le siècle de Louis XIV, n’allons pas plus loin sans essayer de dissiper une fois pour toutes les obscurités qui entourent la vraie ressemblance d’une autre merveille de ce temps-là : génie charmant, femme ravissante qui est de la famille de tous les esprits cultivés ; notre amie de tous les temps, de tous les âges ; une de nos divinités domestiques. Au premier mot, on a reconnu Mme de Sévigné. Se tromper sur elle est en quelque sorte un sacrilège ; pourtant que de portraits ou faux ou douteux à la tête des éditions les plus accréditées de ses lettres ! — Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, avait posé pour Nanteuil à l’âge d’environ trente-cinq à quarante ans. Nicolas Edelinck avait réduit et gravé au burin le pastel de Nanteuil avec un sentiment délicat de la nature. Rien de plus authentique. Eh bien ! le chevalier de Perrin, qui publia chez Simart une édition des lettres en 1734, voulut du nouveau. Il s’adressa à l’évêque de Luçon, fils de Bussy-Rabutin. On sait que, dans sa retraite forcée, Bussy, ce fanfaron en amour et en guerre, dénigrant et caustique, suffisamment honnête homme, c’est-à-dire, suivant la définition du bel air, homme poli et sachant vivre, mais poli à sa manière, avec un orgueil sourcilleux, une vanité féroce, une malignité bilieuse, et qui écrivit les mémoires, du reste si exacts et si précieux, de sa vie, comme certaines femmes font leur confession, — pour avoir l’occasion de se vanter ; — Bussy, disons-nous, avait peuplé son château de Bussy-le-Grand, en Bourgogne, de portraits de sa famille et des beautés célèbres de son temps. Banni de la cour, il s’en vengeait en continuant, au bas de ces portraits, sous forme d’inscriptions, son Histoire amoureuse des Gaules, malheureusement plus historique que calomnieuse. Mme de Sévigné figurait deux fois dans cette galerie et fut épargnée : la malignité a aussi sa pudeur. Un de ces portraits, qui lui donne au plus vingt-cinq à vingt-six ans, existe aujourd’hui encore au château de Bussy. La figure, plus jeune et plus jolie que le pastel de Nanteuil, porte une parure de perles en collier, en pendans d’oreilles, en garniture de corsage. Les cheveux blonds, rejetés en arrière, sont lissés sur le haut de la tête, que recouvre une sorte de coiffe d’où tombe sur les épaules une espèce de voile de veuve. Le cadre a pour toute inscription ces seuls mots :

Vive, agréable et gage.


Cette peinture était dans la chambre de Bussy. Sous une autre, qui était placée dans le salon, se lisait l’inscription suivante :

Marie de Rabutin, fille du baron de Chantal, femme d’un génie extraordinaire et d’une vertu compatible avec la joie et les agrémens[1].

Ce dernier portrait ne s’est point retrouvé. Le premier fut celui que l’évêque confia à l’éditeur, car c’est le même que grava Chéreau pour l’édition du chevalier Perrin. L’effigie prit si bien crédit en tête du livre, que le bon Odieuvre, l’infatigable éditeur de portraits, d’ailleurs exécutés pour la plupart sans beaucoup de critique, l’adopta de préférence au Nanteuil, et le fit regraver par

  1. Lettre de Mme de Sévigné du 4 décembre 1668, et réponse de Bussy ; tome Ier des Lettres, p. 154 et 156 ; édition de Monmerqué. Voir aussi l’excellente notice de M. Corrard de Bréban, de Troyes, intitulée Souvenirs d’une visite aux ruines d’Alise et au château de Bussy-Rabutin.