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foi des catalogues, accepte encore certaines œuvres d’art comme de sérieux témoignages historiques et d’irrécusables documens. Sans prétendre épuiser, pour le moment, une si riche matière, j’essaierai de montrer ce qu’aurait de curieux et d’instructif l’étude trop négligée des portraits. La critique iconographique n’est née que d’hier ; il serait bien temps qu’une érudition ferme et consciencieuse se portât sur ce terrain glissant et y fit prévaloir les données du bon sens sur les témérités de l’hypothèse.

Une gravure de Paul Mercuri, exécutée d’après un émail de Petitot et placée en tête d’un livre publié récemment sur Mme de Maintenon, m’offre, pour quelques-unes des questions délicates soulevées par la peinture de portrait, une occasion que je n’ai garde de laisser échapper. À la vue de cette gravure des scrupules m’ont saisi tout d’abord. Comparez, en effet, l’image la plus connue de Mme de Maintenon, celle où Mignard a prétendu la peindre en sainte Françoise romaine, et où il n’a représenté en définitive qu’une matrone toute française, les épaules chargées d’un manteau de velours bleu de roi doublé d’hermine (signe princier : Louis XIV l’avait permis), assise dans un oratoire ou dans une bibliothèque ; — comparez, dis-je, ce portrait gravé par Ficquet et G. Sibelius avec le portrait dont la gravure de Mercuri est la reproduction, et vous verrez dans l’un des traits caractéristiques de la face une dissemblance fondamentale que la différence d’âge ne suffit pas, ce semble, à expliquer. Cette dissemblance est identiquement la même dans un autre grand portrait attribué à Hyacinthe Rigaud, qui la représente vêtue de noir, avec une princesse enfant. Il nous a fallu beaucoup de recherches avant de nous former une opinion définitive sur ce sujet épineux.

Et, de fait, combien n’est-il pas de portraits qui ont paru et reparu, toujours également admirés et ressemblans, sous des noms, divers ! Quel tumulte et quelle confusion d’apocryphes ! Nous aurons à distinguer entre les apocryphes par ignorance, les apocryphes de parti pris, et enfin les apocryphes par négligence des peintres et par influence de la mode sur l’art. Beaucoup sont de simples erreurs ; plusieurs, de véritables faux ; d’autres, des à-peu-près de convention. Comment discerner l’erreur de la fraude, le vrai de la supposition ? La tâche est délicate. Encore une fois, il y a tout un chapitre qui manque à l’histoire de l’art, c’est celui de l’incertitude en matière de portraits. Quelques exemples pris entre mille me suffiront pour indiquer ce qu’il reste encore à faire à la critique dans une voie où l’attendrait pourtant plus d’une découverte piquante.


I. – APOCRYPHES PAR IGNORANCE.

D’abord, au musée du Louvre, le portrait de Baccio Bandinelli, peint par lui-même, n’est point son portrait : c’est celui de Baccio da Monte Lupo, sculpteur.

Le célèbre tableau peint par le Titien, et connu, dans le même Musée, sous le nom du portrait du Titien et sa maîtresse[1], ne représente ni l’un ni l’autre. Un savant biographe du grand maître vénitien, Ticozzi, s’étayant du témoignage de médailles et de nombreux portraits authentiques, a prouvé que

  1. Gravé au burin par Forster.