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se leva pour déclarer la diète illégale et rompue. À ces mots les sabres sortirent du fourreau ; une multitude furieuse se jeta sur Mokranowski ; à peine les Czartoriski, ses ennemis, purent-ils lui sauver la vie en le couvrant de leurs corps. Ce fut la dernière passe d’armes de la chevaleresque anarchie polonaise. Certes, elle mourut alors noblement, mais enfin elle mourut.

Les vieux princes Czartoriski contribuèrent à la détruire, c’est là leur honneur ; ils s’efforcèrent de remplacer la rouille du moyen-âge par une législation plus raisonnable et plus digne d’un siècle éclairé. La fuite du parti opposé les avait rendus maîtres du terrain en fait et même en droit. Conformément aux lois fondamentales de la république, l’absence d’un certain nombre de sénateurs, la présence même des troupes étrangères et surtout le veto suspensif n’invalidaient que les diètes d’élection et n’apportaient aucune illégalité dans celles des convocations. Ce jour-là, sur soixante-dix sénateurs qui siégeaient dans l’enceinte, la majorité était de trente-huit, nombre bien supérieur à la diète de convocation qui, dans l’interrègne de Henri de Valois à Étienne Bathory, n’était composée que de sept sénateurs et d’une vingtaine de nonces, sans que ses actes fussent réputés illégaux. Le veto de Mokranowski n’était pas légal ; ce droit ne pouvait être exercé que dans les diètes d’élection, jamais dans celles de convocation ; de plus, il n’y avait aucun moyen légitime d’invalider cette assemblée ; le primat l’avait convoquée, l’absence de quelques magnats ou sénateurs, la présence même des troupes étrangères ne lui ôtait rien de sa légalité.

Le grand-général parti, il n’y eut pas un instant de perdu ; la diète se conduisit avec habileté et résolution ; les abus les plus crians disparurent en six semaines. Sans doute, l’esprit de parti guida l’esprit de réforme ; en dépouillant Braniçki, Radziwil et leurs amis des prérogatives de leurs charges, la rivalité n’était pas moins écoutée que la justice. Par les règlemens nouveaux, les grands-généraux de la couronne cessèrent de cumuler les attributions de connétable, d’archi-trésorier et de grand-juge ; ils ne disposèrent plus sans contrôle du sang du peuple et des deniers du pays. Il fut décidé que des conseils, des commissions permanentes surveilleraient désormais l’emploi de la fortune publique les grand charges et les places seraient distribuées plus également, que le pouvoir exécutif et judiciaire, arme à deux tranchans, ne serait plus confié au même bras ; on promit d’assurer le paiement des troupes, de répartir l’impôt entre les propriétaires des biens de donation royale, et, ce qui est plus hardi, de l’étendre aux Juifs. La tyrannie israélite reçut un frein, le servage un adoucissement ; mais cette réforme fut loin d’être complète. Les Czartoriski rencontrèrent d’invincibles obstacles dans les préjugés polo-