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de sable, semée çà et là d’arbustes rabougris, d’herbe dure et saline, et de maigre gazon. Un soir qu’il regagnait pensif son ajoupa, suivant le bord de la mer et ramassant des coquillages pour son souper, il crut voir poindre à l’horizon les voiles d’un navire. Le soleil venait de se coucher, l’atmosphère semblait encore embrasée de ses rayons mourans, les nuages du crépuscule étincelaient de feux des plus riches couleurs ; mais ce point qui brillait au sein des vapeurs dorées du soir, était-ce bien une voile ? Les nuages tant de fois avaient pris cette apparence à ses yeux ! La brise poussait le bâtiment de son côté ; toutes les formes variaient alentour : ce point seul conservait son aspect. Il n’en douta plus, c’était un navire ! Alors son cœur s’émut d’espérance et de crainte. Était-ce son propre navire ou un étranger qui passait par hasard ? Fallait-il mettre sur le champ le feu à son bûcher, au risque de consumer en pure perte le résultat de tant d’efforts ? Cependant la voile grandissait. Quand la nuit fut sombre, il se décida et approcha du bûcher une torche enflammée : le feu s’éleva dans les airs en immense pyramide ; le navire sembla comprendre le signal de ce phare improvisé, et s’approcha du mouillage. C’était bien le lieutenant qui venait chercher son capitaine. Emporté par les courans, manquant d’eau et de vivres, il avait été contraint d’aller se ravitailler à Anjouan, près de Mayotte. L’exilé écrivit l’histoire de ses trente-deux jours d’abandon et la mit dans une bouteille qu’il suspendit à l’arbre le plus apparent de la forêt. Il fit débarquer un coq et quatre poules, qui ont multiplié et couvert l’île de volailles ; un sentiment d’humanité lui inspira cette pensée, et il fit ses adieux à son île.

Il faut revenir à Bourbon cependant, car comment se soustraire aux sinistres pressentimens qu’inspirent les destinées de cette île, naguère si favorisée ? Chaque pas que vous faites sur ce sol flétri, chaque parole que vous échangez avec les habitans, vous y ramènent forcément. De toutes les habitations s’élève un concert de plaintes sur les embarras actuels et d’alarmes pour l’avenir. On dirait un monde qui se meurt. Il faut se poser résolûment cette question : Quel sera le sort de Bourbon sous l’influence du décret d’affranchissement des noirs ? C’est par le travail esclave, par le travail forcé, que Bourbon est devenue une grande fabrique de sucre. Pourra-t-on se procurer le travail libre nécessaire à l’entretien de cette production Ce serait une illusion vaille que de l’attendre du noir nouvellement affranchi, Il faut appeler des travailleurs du dehors. L’essai qu’on a fait des Chinois de Singapour n’a eu d’autre résultat que d’introduire dans la colonie deux ou trois mille bandits dont le vol est l’unique pensée. Reste donc la ressource des coulies de l’Inde, et l’expérience a prononcé aussi bien à Bourbon qu’à Maurice ; c’est tout simplement une question de capital. Maurice, on le sait, se maintient à l’aide des capitaux de la métropole. Chez