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— de l’autre, à l’issue de la gorge, le soleil couchant derrière un rideau de dattiers et de cocotiers, et le calme qui semble descendre doucement du ciel sous la forme d’un voile azuré ; quand on prête l’oreille aux murmures des cascades qui semblent rendre l’air harmonieux, on oublie volontiers les alarmes de cette société qui croule. Mais l’ombre, qui s’épaissit vite au fond du ravin, vous rappelle bientôt à Saint-Paul. — En nous promenant au marché, le lendemain de notre visite au Bernica, nous rencontrâmes M. Lefort. Il avait l’air préoccupé. Pendant la nuit, tout le raisin d’une magnifique treille qui fait une partie de son revenu avait disparu : il cherchait le voleur. Ah ! sortons de cette affreuse réalité, et berçons-nous de l’espoir qu’une civilisation nouvelle sortira radieuse des décombres de l’ancienne.

Dans la rade de Saint-Paul se trouve le seul point peut-être de toute là côte où la mer ne brise pas constamment avec violence ; c’est comme une facette de rocher, large au plus d’une soixantaine de pieds, qui plonge verticalement dans l’eau à près de dix brasses de profondeur. Un homme d’une intelligence peu commune, d’une grande persévérance contre la mauvaise fortune, dont toute la vie a été occupée de travaux utiles, à qui Bourbon doit la plus grande partie des établissemens de marine destinés à faciliter les chargemens et les déchargemens des navires sur divers points de la côte, a conçu le projet hardi de couper dans ce rocher une cale de halage, et peut-être, si le succès répond à ses vœux, un canal d’abri pour quelques barques de cabotage. Sans doute nous n’avons pas besoin d’insister pour faire comprendre ce qu’un pareil établissement aurait d’avantageux pour la colonie : rien de plus sagement combiné que ce plan, rien de plus digne d’appeler les sympathies du gouvernement de la métropole. C’est une entreprise de bien public qu’il faudrait adopter, ou tout au moins soutenir d’une main généreuse, afin que, dans la crise où la France a plongé sa colonie, le succès ne repose pas tout entier sur les efforts d’un simple particulier que les autres habitans ne sont guère en état d’aider.

Un trait de la vie de cet honorable colon fera connaître ce qu’avait d’aventureux, il y a trente ans à peine, l’existence des hommes qui allaient recruter des travailleurs pour Bourbon. M. Cremasy commandait un navire chargé pour la côte. Afin de donner le change sur ses opérations, il voulut relâcher à l’île de la Providence, située au nord du canal de Mozambique, à l’effet d’y prendre les cocos germés pour la nourriture des noirs. En ce temps-là, les moyens de navigation le long de la côte d’Afrique étaient grossiers : on ne connaissait pas les câbles-chaînes ; ont ne se servait guère que de câbles en bastain, ce crin de palmier si abondant aux Célèbes sous le nom de goumoutou ; et comme ces câbles se coupaient souvent sur les récifs et les fonds de coraux,