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sans discussion, proclamé la république française. Ainsi, la monarchie de juillet avait disparu tout entière, tombée sans laisser nulle trace, sans qu’il restât debout un seul débris où nous pussions nous rallier sur la foi de nos sermens ! Ainsi l’avait voulu la France. Nos ames lui appartiennent aussi bien que notre sang ; le commandant fit connaître ce grand événement aux bâtimens de la division navale par l’ordre du jour suivant : « Equipages, la France vient de se constituer en république. Rien n’est changé dans nos devoirs. La patrie conserve tous ses droits à notre entier dévouement. Pour nous, le cri de : Vive la république ! et le cri de : Vive la France ! » Et nous saluâmes de vingt et un coups de canon notre vieux drapeau d’Austerlitz, devenu le drapeau de la nouvelle république. Cette solennité, qui n’était que l’écho lointain des grandes scènes de la patrie, remplit nos ames de plus d’émotion que de joie ; chacun, au fond de son cœur, pria religieusement pour la grandeur et le bonheur de la France.

Les vivres allaient nous manquer ; il fallut retourner à Bourbon, qu’un décret du gouvernement provisoire appelait l’île de la Réunion. Dans ces temps malheureux, le ministère de la marine, tombé en des mains qui ne savaient que révolutionner et détruire, nous laissait sans direction. L’assemblée nationale seule devait prononcer sur la question coloniale, et voici qu’au moment où son pouvoir allait expirer, le gouvernement provisoire, semblable au Parthe qui fuit, jette ab irato sur les colonies l’affranchissement des esclaves ! Toutes les nouvelles de France nous arrivaient confuses, à l’état de simples bruits, comme un retentissement lointain des craquemens de la société. Le prestige de la patrie semblait s’évanouir, et le sol nous manquer sous les pieds ; l’autorité n’avait plus d’appui que dans l’ame énergique de ses mandataires.

Par bonheur, la population de Bourbon est animée d’un esprit de modération et de haute raison qui sut résister à toutes les causes d’ébranlement. Les commissaires les plus ardens du citoyen Ledru-Rollin fussent restés impuissans devant le bon sens des habitans. La transformation sociale était depuis long-temps dans tous les esprits ; seulement, on espérait y arriver sans secousses violentes, sans qu’il en résultât la destruction du travail, et par conséquent la ruine de la colonie. Soit douceur naturelle produite par le climat, soit bonheur des circonstances, la haine des castes y est inconnue. Les mulâtres n’y respirent point ces implacables rancunes, cette jalousie cruelle et la soif de vengeance, qui sont la plaie de nos Antilles. Rien ne broncha dans cette société ; chacun attendit avec calme ; il n’y eut de danger que pour ces ames inquiètes qu’agitent sans cesse de vaines alarmes ou des terreurs imaginaires.

Le premier devoir imposé au commandant de la station, après avoir