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aspect quelque chose de diabolique : le soir surtout, quand on les rencontre redressant leurs hautes tailles et glissant silencieusement à travers les grandes herbes, on en reçoit une impression singulière. Hommes et femmes ont beaucoup de douceur ; leur simplicité charme, leur gaieté enchante ; ils obéissent avec une docilité admirable. Malheureusement, sous l’influence des liqueurs fortes, tout cela change. Il faut les avoir vus en présence de l’arack pour comprendre l’affreuse action de l’eau de feu a eue sur les peuplades sauvages. Dès que ces créatures ont avalé quelques traits de la boisson ardente, elles sont embrasées du plus violent désir d’en boire encore, de s’y plonger. Nulle éducation ne leur a appris à réfréner leurs ardeurs ; elles s’y livrent sans réserve, avec une impétuosité, avec une violence qui surprennent ; rien ne les arrête, rien ne leur coûte pour les satisfaire. Ce n’est presque pas abuser de la comparaison que de dire qu’un tigre alléché par le sang chaud n’est pas entraîné par un instinct plus féroce, plus irrésistible, que celui qui anime ces femmes à l’arack. Dans une réunion de fête, un jeune homme avait sous nos yeux avalé coup sur coup quelques verres d’arack ; il tomba comme frappé de la foudre, et roula dans la poussière. On le ramassa. Au premier état d’insensibilité succéda une crise nerveuse qui ressemblait à une attaque d’épilepsie. Le père le prit dans ses bras, calmant ses membres crispés, et tous disaient : Est-il heureux ! et les femmes de crier, de supplier : Donnez de l’arack ! Dès que la brûlante liqueur coule, elles dédaignent l’or et les bijoux, elles ne se connaissent plus ; elles jetteraient leurs enfans pour s’en procurer.

C’est dans une fête du pays, dans un ralouba où quelque particulier fait largesse d’arack, qu’il faut les voir ! À l’annonce du ralouba, elles accourent en foule : elles se forment en rond, accroupies sur le sable, et commencent à frapper des mains et à chanter sur un ton mineur et monotone. D’abord leur attitude est modeste, leur chant mesuré leurs battemens se balancent mollement sur les hanches. L’arack circule : elles s’échauffent, la mesure s’accélère, le ton s’élève ; quelques-unes se détachent et exécutent une danse du pays qui consiste principalement en poses, en mouvemens expressifs du corps. On verse de nouveau l’arack : le groupe sombre semble agité de secousses électriques, les mains frappent plus fort, à coups plus précipités ; les voix éclatent par intervalles ; toutes ces têtes hérissées de tire-bouchons laineux se secouent vivement ; le blanc de leurs yeux étincelle comme des flocons de neige sur une masse de cyprès. L’arack coule encore ; tout le cercle s’émeut et crépite comme un vaste bol de punch. Versez toujours ! chants et battemens de mains montent par explosions ; puis soudain toutes ces femmes bondissent d’un élan spontané, tourbillonnent en chantant, se précipitent en colonne serrée,