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toutes les transactions de la vie, et devint comme le pivot de l’existence coloniale. Serré en balles et mis dans des magasins publics, il constitua le capital d’une banque de dépôt, et le pays n’eut bientôt plus d’autre moyen d’échange que des bons de café. Ce fut un malheur public que la création de cette sorte de papier-monnaie : il favorisa l’agiotage et porta coup aux cultures ; car, ne désignant que des quantités sans spécifier ni la qualité ni la provenance, le propriétaire n’eut presque plus d’intérêt à soigner ses produits, et le café Bourbon subit une dépréciation sur les marchés de l’Europe.

L’engouement passa du café à la canne à sucre : les lois de la métropole y poussaient ; on se jeta avec fureur dans cette nouvelle culture, si bien qu’aujourd’hui, sur 62,000 hectares de terres cultivées, 24,000 ont livrés à la canne, et ce sont les terres de choix ; 4,000 seulement restent plantés en café ; 25,000 environ, le rebut de l’île, sont consacrés aux substances alimentaires du pays ; le reste appartient à la culture du girofle et autres denrées secondaires d’exportation[1]. Sous cette influence, l’île Bourbon put être considérée comme un vaste établissement d’industrie sucrière, employant à la main-d’œuvre, c’est-à-dire à la culture et à l’exploitation de la canne, environ cinquante mille ouvriers, tous esclaves. Le mouvement de commerce qui en résulta s’élevait en total à une somme de 46 millions par an, et la navigation de la France y trouvait un aliment pour cent navires de tonneaux, tant à l’aller qu’au retour. Certes, c’était un beau résultat. Grace à Bourbon, notre pavillon ne fut point effacé de la grande route de l’Inde, où plane avec tant d’orgueil l’yacht britannique. Cette terre, où nous avions su créer de si grands intérêts nationaux, ne méritait-elle pas les soins les plus attentifs de la métropole ?

La culture presque exclusive de la canne à sucre fit croître démesurément la population ; bientôt l’île ne suffit plus à nourrir ses habitans, dont le nombre a presque triplé en moins d’un demi-siècle. Comme tous les grands centres manufacturiers où la population ouvrière est, agglomérée, Bourbon fut obligée de tirer de l’extérieur une partie de sa subsistance. Le voisinage de Madagascar contribua puissamment à ce résultat. Madagascar était comme la métairie de Bourbon ; on y trouvait du riz et des bestiaux à très bas prix et en quantités presque indéfinie. En échange de ces objets, les tribus malgaches prenaient des bagatelles venues d’Europe, le rebut de nos fabriques, des fonds de magasin : tout était profit pour nous dans ces relations. Aussi, quand la reine des Hôvas ferma ses ports aux étrangers et refusa soudain l’exportation des bestiaux et du riz, les habitans de Bourbon se sentirent

  1. L’administration de la marine public chaque année une statistique de nos colonies, où se trouvent tous les renseignemens qu’on peut exprimer en chiffres.