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de saphir, — au sein de ces massifs de mimosas, où le flamboyant en heurs éclate comme une gerbe de rubis et d’émeraudes, — sur le bord tranquille de ces nappes d’eau où dort le nénuphar entouré de mille plantes aux gracieuses découpures, — dans cet air tiède et moite parfumé de senteurs enivrantes, on se croirait, sous l’influence d’un charme, transporté dans des lieux créés par la féerie.

L’île Bourbon est, sans contredit, un produit volcanique de formation nouvelle. Malgré le désordre d’une pareille origine, malgré ces monts entassés pêle-mêle les uns sur les autres, malgré les déchirures profondes causées par les ébranlemens de toute la masse au moment des grandes éruptions, dans ce chaos de cratères éteints, les uns remplis d’eaux, les autres, couverts de terre végétale, on peut cependant saisir, bien que confusément, une certaine loi dans la disposition des territoires. Le sol, à sa surface, paraît divisé en vallées juxtaposées, de forme triangulaire ou semi-elliptique, dont la base est à la mer et le sommet plus ou moins haut dans la masse des montagnes ; en un mot, c’est l’image d’un cône tronqué dont la surface aurait été grossièrement taillée à facettes. Veut-on prendre la nature sur le fait dans ce travail d’enfantement ? la partie sud-est de l’île est occupée par un volcan en pleine activité, qui, chaque année, vomit des laves enflammées. Ces laves, au sortir de la fournaise, se séparent en deux courans qui glissent le long des arêtes de la montagne, et forment une portion d’ellipse dont le sommet est au cratère, et dont les branches se perdent dans la mer, au milieu de tourbillons de fumée et de vapeurs crépitantes. L’île se trouve partagée naturellement en tranches ou zones de hauteur : la première embrasse l’espèce de bourrelet formé au bord de la mer par les détritus et les éboulemens des montagnes, terre riche et féconde dont les vallons et les coteaux offrent toute la luxuriance des contrées tropicales ; puis viennent des régions superposées par gradins successifs, où la végétation s’amoindrit à mesure qu’on s’élève ; enfin les bruyères, les sommets nus des hautes montagnes, les arides crêtes des Salases souvent couvertes de neige.

La race humaine n’est point autochtone à Bourbon. Les premiers habitans, débris de nos établissemens de Madagascar, se partagèrent à vol d’oiseau la terre, alors inoccupée et sans valeur ; choisissant dans la montagne quelque point apparent, ils le désignaient comme l’aboutissant des limites de leurs domaines. Voilà l’époque qu’on peint comme l’âge d’or de la contrée, et l’on fait aujourd’hui des récits touchans de la simplicité et du bonheur qui régnaient alors dans les habitations. La culture du café moka fit connaître Bourbon sur les marchés de l’Europe ; mais il était réservé à la canne à sucre d’inaugurer l’âge de fers cette terre fortunée. Les terrains qui purent produire ce précieux roseau prirent tout à coup une valeur inouie : les spéculateurs,