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ses tristes plages de galets noirs, où la mer en mugissant déroulait ses nappes d’écume étincelante. Entre la terre et les navires au mouillage, il se fait un continuel échange de signaux : phrases laconiques et le plus souvent alarmantes. Trois fois par jour, le port signale la hauteur du baromètre ; un simple pavillon bleu veut dire que la mer est trop grosse au rivage, et que toute communication avec la terre est interdite ; un nouveau signe enjoint aux navires de se tenir prêts à appareiller ; un autre, enfin, de fuir au plus vite, que l’ouragan menace Pendant la nuit, ces ordres sont exprimés par des feu et des coups de canon ; dont sinistres retentissemens, renvoyés par les échos de la montagne, semblent des explosions de la foudre. Ces ouragans n’éclatent guère qu’une fois, deux fois au plus par hivernage ; des années entières s’écoulent, souvent plusieurs de suite, sans qu’on ait à déplorer leur fureur destructive ; peut-être même n’égalent-ils ni en violence, ni en durée, les tempêtes qui ravagent nos côtes de Normandie et de Bretagne à l’époque des équinoxes ou du solstice d’hiver ; cependant telle est la terreur qu’ils inspirent, qu’on dirait une menace perpétuellement suspendue sur l’île. Encore si quelque symptôme certain, si quelque indice assuré annonçait leur approche ! Mais l’expérience n’enseigne rien de précis à cet égard, et l’on croit voir l’ouragan partout : les calmes, les petits temps précèdent, dit-on, la tourmente ; l’air est ardent avant l’explosion de l’orage ; n’est-ce pas précisément ce que nous éprouvons ? L’atmosphère est chaude, moite ; sans élasticité, signe précurseur de l’ouragan ! la brise est molle, souvent folle ou calme, signe d’ouragan ! le ciel est épais, incertain, parfois chargé d’une pluie chaude, signe d’ouragan ! Et, sous l’action de tant de mystérieuses alarmes, l’imagination dresse le tableau de tous les sinistres qui ont désolé ces mers. La mémoire des habitans est impitoyable, ils concentrent en un seul point les désastres de tout un siècle ; ils refont le naufrage du Saint-Géran, qui arrachera d’éternelles larmes à l’enfance sur les malheurs de Virginie ; puis, c’est l’histoire de ces deux frégates appareillant ensemble de Bourbon pour se rendre à l’Ile de France : l’une n’arrive que démâtée, brisée, désemparée, dans un état à faire pitié, et l’autre, la poésie seule des tempêtes peut en redire la déplorable fin !

Enfin, dans la bordée du large, vers Madagascar, se déroule le drame terrible de la corvette le Berceau, du Berceau, que nous venions remplacer, et dont le nom seul réveillait dans nos esprits les sourds grondemens de l’abîme. Ainsi chaque vague semble avoir englouti un navire ! Toute cette mer se déroule comme un vaste champ de mort qui, à terre, serait hérissé de croix funèbres, mais dont la lugubre impression ne frappe l’ame qu’aux récits des vieux habitans du rivage, ou dans les veillées des marins qui le parcourent. Autrefois, quand un