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de monstre dans l’ordre social, animé de sentimens haineux contre les étrangers, ne rêvant la conquête de l’Amérique méridionale que pour donner carrière à ses instincts féroces, et chasser du Nouveau-Monde et la civilisation et les enfans de l’Europe. On a fait sur ce double thème des tableaux saisissans, qui ont ébranlé les imaginations et passionné notre pays ; mais personne ne s’est donné la peine d’en vérifier l’exactitude.

Loin de nous l’idée de justifier les actes de la politique terrible qui pillait convenir aux races espagnoles de l’Amérique. Nous n’avons pas à fouiller la vie antérieure du général Rosas, nous ne devons le juger que dans ses nippons avec la France. Ce sont les ennemis mortels du général Rosas, les exilés argentins, ses adversaires politiques, vaincus par lui, chassés par lui de leur patrie, qui ont porté sa réputation en Europe, et ils ne l’ont pas ménagé. Victimes intéressantes sans doute des luttes sanglantes, impitoyables de leur pays, ils firent de leur vainqueur un atroce bourreau, un tigre se complaisant au carnage, et la France, qui se déclare toujours pour les opprimés, prit leur parti et s’inspira de leurs haines. Il faut le dire d’ailleurs, le gouvernement de Buenos Ayres sévère, inexorable dans l’application de ses lois, avec son administration disciplinaire, fort peu sympathique aux révolutionnaires et aux professeurs de barricades, ne plaisait guère à un certain nombre de nos émigrans français ; combien mieux ils aimaient l’allure débraillée de Montevideo, où ils pouvaient déblatérer sans contrainte, sous une autorité qu’ils dominaient, avec un gouvernement qui était leur œuvre, gouvernement dont Mazzini a donné le spectacle à l’Europe, soumis aux condottieri de Garibaldi ; car c’est à Montevideo, dans la légion étrangère subventionnée par nous, que Garibaldi et ses bandes ont fait l’apprentissage de cette étrange administration républicaine qu’il nous a fallu détruire dans Rome à coups de canon ! Quant au gouverneur de Buenos-Ayres, tout occupé de constituer fortement son pays, d’en faire une nation souveraine, par des moyens que l’histoire jugera, mais sur lesquels nous ne sommes pas appelés à nous prononcer ; peu soucieux d’ailleurs de son renom en Europe, ne songeant pas que l’orage pût le menacer de ce côté, il laissait ses ennemis le noircir, sans daigner justifier ses actes. Voilà comment nous avons été amenés à faire dans la Plata une guerre personnelle au général Rosas, et à considérer la cause de Montevideo comme notre propre cause. On nous dit que, si le général Rosas ou son allié Oribe entraient à Montevideo, la population entière et nos compatriotes seraient impitoyablement massacrés, et nous le crûmes. Il ne nous vint pas à l’esprit qu’Oribe a gouverné pendant quatre ans la République Orientale, que son administration a été la plus haute expression de la civilisation dans ce pays ; qu’en ce moment même la presque totalité des étrangers qui habitent les rives de la Plata, et de ce nombre 14 ou 15,000 Français, la partie vraiment intéressante de notre émigration, vouée à des travaux utiles sous l’abri de l’ordre et des lois, sont, dans la province de Buenos-Ayres, sous le couteau de l’effroyable égorgeur, et qu’ils jouissent tous de la protection la plus complète dans leurs personnes et dans leurs biens. Ne serait-il pas temps enfin de rentrer dans la logique des faits, d’abandonner la politique de la haine, de la passion et d’une passion malheureuse, pour la politique sérieuse, utile, pour la politique des intérêts ?

Posons nettement les termes de l’affaire en litige : la République Orientale,