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Imprudens, nous dira-t-on et nous a-t-on déjà dit, qui laissiez former contre nous, au-delà du Rhin, un grand empire germanique ! Ignorez-vous que la Prusse vient jusqu’à Sarrebruck ? La Prusse vient jusqu’à Sarrebruck, cela est vrai, mais elle va aussi jusqu’à la Vistule, et nous sommes convaincus qu’elle voit, pour elle plus de dangers sur la Vistule que sur le Rhin. Tout ce qui fortifie la Prusse, tout ce qui affermit et consolide l’Allemagne, nous parait favorable à la France, au lieu de nous paraître dangereux et menaçant. Sans doute comme alliée et comme instrument de la Russie, la Prusse est trop près de nous, étant à Sarrebruck ; mais plus elle sera forte, moins la Prusse sera disposée à se faire l’instrument de la Russie. Ce que nous disons de la Prusse, nous le disons aussi de l’Autriche. Nous savons bien que c’est une ancienne politique de la France de soutenir en Allemagne les petits états, quand les petits états pouvaient quelque chose par eux-mêmes, quand ils pouvaient au moins aider ceux qui les protégeaient. C’était aussi une ancienne politique de la France en Allemagne d’opposer la Prusse à l’Autriche et de les affaiblir ainsi l’une par l’autre. Devons-nous encore avoir cette politique ? Non assurément, si la Prusse et l’Autriche sont pour nous aujourd’hui des remparts, au lieu d’être des dangers. Ah ! si nous voulons encore conquérir le Rhin, si nous voulons jouer encore à nos dépens le jeu de la gloire militaire, ou bien si nous devons retombé sous le joug de la démagogie, nous avons raison de souhaiter que l’Allemagne soit faible ; car l’Allemagne forte et calme ne souffrira ni que nous prenions le Rhin, ni que nous donnions l’exemple contagieux de la démagogie triomphante. Dans ces deux cas, c’est la guerre ; mais ces deux cas, les acceptons-nous ? Non. Eh bien ! dans tous les autres cas, la force et la cohésion de l’Allemagne nous sont utiles et avantageuses.

Le travail de l’unité allemande dans les mains de la Prusse semblait, dans les commencemens, devoir réussir. La ligue des trois rois, c’est-à-dire du roi de Prusse, du roi de Saxe et du roi de Hanovre, pour rédiger un projet de constitution et l’opposer à la constitution de Francfort, cette ligue semblait devoir attirer à elle toute l’Allemagne. Les vingt-huit petits états allemands qui avaient trop promptement peut-être donné leur adhésion à la constitution de Francfort, parce qu’ils cherchaient à qui et à quoi se rattacher, ces vingt-huit états avaient transporté bien vite leur adhésion au projet de constitution des trois rois. La Bavière alors ne semblait pas non plus éloignée de se rattacher à ce projet ; mais, il ne fallait pas s’y tromper, ce qui faisait le crédit du projet des trois rois, c’est qu’il était opposé au projet de Francfort. Comme il était moins démocratique que le projet de Francfort, et surtout qu’il médiatisait moins les petits états et respectait plus leur indépendance, ces petits états n’avaient pas hésité à choisir de deux maux le moindre, et à passer de Francfort à Berlin ; mais aussi, à mesure que le danger de Francfort devenait moindre, à mesure qu’ils craignaient moins la médiatisation démocratique, ils se demandaient s’ils ne pourraient pas, à l’aide de quelque nouvel événement, échapper au joug de Berlin, comme ils avaient échappé au joug de Francfort à l’aide de Berlin.

Ces événemens nouveaux n’ont pas manqué. La Prusse elle-même, en détruisant l’insurrection badoise, détruisait un des dangers dont la peur lui créait des alliés. En même temps, l’Autriche, victorieuse déjà en Italie, l’était encore