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Puisque nous avons parlé de M. de Lamartine, disons un mot du projet que lui ont attribué quelques journaux d’aller s’établir en Turquie. Nous ne savons pas ce que projette M. de Lamartine ; nous nous souvenons seulement que dans la très singulière conversation qu’il raconte avoir eue avec lady Stanhope dans son voyage d’Orient, cette femme merveilleuse lui prédit qu’il reviendrait en Orient : « Nous nous reverrons, dit-elle, soyez-en certain. Vous retournerez dans l’Occident ; mais vous ne tarderez pas beaucoup à revenir en Orient : c’est votre patrie. — C’est du moins, lui dis-je, la patrie de mon imagination. — Ne riez pas, reprit-elle, c’est votre patrie véritable, c’est la patrie de vos pères. J’en suis sûre maintenant ; regardez votre pied. — Je n’y vois, lui dis-je, que la poussière de vos sentiers qui le couvre, et dont je rougirais dans un salon de la vieille Europe. — Rien ; ce n’est pas cela, reprit-elle encore ; regardez votre pied. — Je n’y avais pas encore pris garde moi-même. — Voyez : le cou-de-pied est élevé, et il y a entre votre talon et vos doigts, quand votre pied est à terre, un espace suffisant pour que l’eau y passe sans vous mouiller. C’est le pied de l’Arabe, c’est le pied de l’Orient. » (Voyage en Orient, tome 1er, page 267.) Je ne sais pas si cette bizarre prédiction de lady Stanhope avait fait quelque impression sur M. de Lamartine ; toujours est-il que cette idée de fonder un établissement en Orient reparaît encore çà et là dans son voyage. Ainsi, quand il est en Syrie : « Combien de sites, dit-il, n’ai-je pas choisis là, dans ma pensée, pour y élever une maison, une forteresse agricole, et y fonder une colonie avec quelques amis d’Europe et quelques centaines de ces jeunes hommes déshérités de tout avenir dans nos contrées déjà trop pleines ! La beauté des lieux, la beauté du ciel, la fertilité prodigieuse du sol, la variété des produits équinoxiaux qu’on peut y demander à la terre, la facilité de s’y procurer des travailleurs à bas prix,… la proximité de la mer pour l’exportation des denrées, la sécurité qu’on obtiendrait aisément contre les Arabes, en élevant de légères fortifications le l’issue des gorges de ces collines, tout m’a fait choisir cette partie de la Syrie pour l’entreprise agricole et civilisatrice que j’ai arrêtée depuis. » (Tome II, pag 75.)

Ces curieux passages du Voyage en Orient donnent au projet attribué à M. de Lamartine une certaine vraisemblance. Nous concevons d’ailleurs que M. de Lamartine veuille échapper par l’absence à tout son passé européen. Un critique fort spirituel remarquait dernièrement comment M. de Lamartine dénouait volontiers ses aventures amoureuses par un brusque départ, à l’exemple d’Enée. Le départ peut aussi servir de dénoûment aux aventures politiques.

M. Victor Hugo, qui est en train de se désheurer, nous a conduits à M. de Lamartine, qui est désheuré. Nous passons maintenant de M. de Lamartine à M. le général Cavaignac et à son discours sur les affaires de Rome.

Jamais nous ne soupçonnerons M. le général Cavaignac d’entrer dans aucune combinaison ou aucune manœuvre parlementaire. Cependant, quand on a vu se succéder à la tribune M. Mathieu de la Drôme, qui parlait au nom de la montagne, M. Victor Hugo, qui parlait au nom du parti qu’il aurait voulu créer, M. le général Cavaignac enfin, qui parlait au nom de cette sorte de républicain dont le caractère veut la modération et l’ordre, mais dont les doctrines penchent vers une rénovation sociale dont ils ne conçoivent pas bien la nature