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exercer dans les principautés du Danube en vertu des traités conclus à la suite des dernières guerres. Bien avant que la Russie songeât à s’ingérer dans les affaires de Turquie, la France protégeait déjà les sujets chrétiens du grand-seigneur. Le protectorat religieux qui lui appartenait, et qu’elle pratiquait non pas seulement parmi les Maronites et les Druses, mais chez les Hellènes, les Slaves et les Valaques, s’est divisé au profit des autres puissances chrétiennes, et principalement de la Russie. Par une erreur que l’on ne saurait trop regretter, la diplomatie française, consacrant l’influence de son protectorat aux intérêts spéciaux du catholicisme, poussa du même coup les schismatiques de l’élise grecque dans les bras de la Russie. Pour mieux servir les prétentions de quelques milliers de Latins perdus dans le Liban et sans avenir, la France abandonna plusieurs millions d’Orientaux, la Turquie d’Europe presque entière, à l’assistance religieuse du czar. L’Autriche réclama d’ailleurs sa part de ce que la France conservait d’autorité morale parmi les catholiques, et l’Angleterre, n’ayant qu’un très petit nombre de protestans à défendre, voulut du moins s’assurer la tutelle du paganisme des Druses.

Ce n’est donc pas seulement la Russie, c’est l’Europe entière qui gêne la souveraineté du sultan jusque chez lui. Naguère, sans doute, quand l’islamisme était dans sa vigueur et qu’il pouvait se laisser aller à l’intolérance, quand c’était un devoir d’humanité de se faire les avocats des chrétiens, lorsque cette tâche était dévolue à la France et qu’elle s’en acquittait en fidèle alliée des sultans aussi bien qu’en fille aînée de l’église, le protectorat entraînait peu d’inconvéniens. Depuis que ce protectorat s’est partagé entre les cabinets de l’Europe, depuis qu’il est devenu la cause et l’instrument de leurs rivalités, depuis que la Russie, par de fausses interprétations des traités, a prétendu le transformer en protectorat politique, il n’est point de plus fâcheux obstacle aux progrès et aux réformes de l’empire ottoman. Ainsi, dans les deux principautés de la rive gauche, d’effroyables abus accumulés par les siècles appelleraient aujourd’hui une refonte générale de la législation civile et politique de ce pays ; le sultan est intéressé à se prêter aux vœux des partisans des réformes ; ses intentions inclinent visiblement de ce côté : c’est en vain, la Russie est là, suscitant les passions de ces vieux boyards dont l’existence sybaritique est assise sur cette législation oppressive ; elle passionne ces détestables intérêts ; elle sait se faire appeler par eux à leur aide ; elle intervient et la prospérité du pays, au lieu d’avancer, recule de plusieurs années en arrière. Il en est de même sur la rive droite, chez les Serbes. À la vérité, dans cette heureuse démocratie, il n’a point, comme de l’autre côté du Danube, de ces grandes existences aristocratiques qui se croient intéressées à réclamer l’appui de la diplomatie russe ; il n’y a point de ces corruptions invétérées qui se prêtent complaisamment aux vues de la politique moscovite. Il y a cependant, malgré la simplicité des mœurs et la rudesse des caractères, il y a, sur ce terrain aussi, des ambitieux qui, pressés d’arriver et de se maintenir, consentent trop souvent à se faire les instrumens de ces idées rétrogrades au moyen desquelles la Russie réussit à paralyser les efforts libéraux de la suzeraineté ottomane. Que l’on songe d’ailleurs par quelle savante organisation diplomatique cette pensée est suivie. Nous n’avons en vue ici que la diplomatie régulière de la Russie, et nous osons dire,