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contraint de céder à l’empire des faits actuels et de rester enchaîné humblement à l’alliance russe. Hâtons-nous de dire que cette nécessité n’existe pas dans sa rigueur absolue. S’il y a quelque part une insurrection qui soit épuisée, incapable de renaître, c’est l’insurrection dans laquelle la race magyare vient de creuser tristement son tombeau. Que le cabinet de Vienne consente à tirer parti des élémens de vitalité qu’il trouve dans les Slaves, autour du tombeau de la Hongrie, et l’Autriche peut largement, dès aujourd’hui, se suffire à elle-même. Quant à son isolement, serait-il donc si hypothétique de dire qu’il dépend un peu de la France et en grande partie de l’Angleterre de le faire cesser ? L’Angleterre, s’éloignant en ce point de cette politique positive dont elle est d’ordinaire un des adversaires de l’Autriche. Bientôt M. Kossuth, dont la vanité se morfond à Widin, abordera aux rivages hospitaliers d’Albion ; bientôt il sera connu de ses complaisans admirateurs ; après quelques jours d’exhibition, on verra s’évanouir jusqu’aux illusions de M. Cobden, ce roi des meetings belliqueux et pacifique à la fois, qui ne peut pas croire qu’un agitateur disert ne soit point un homme antique. Alors l’Angleterre, qui peut faire valoir auprès du cabinet de Vienne des titres plus anciens et moins suspects que ne le seraient ceux d’une république consentira peut-être à apporter à l’Autriche cette sécurité diplomatique qui lui manque pour échapper au exigences de la Russie dans la question orientale. Est-ce la France qui ferait obstacle à ce rapprochement ? Non. Elle est aujourd’hui trop profondément convaincue que la plus fâcheuse conséquence de la révolution européenne est l’obligation contractée par l’Autriche envers la Russie.

Le jour où l’Autriche, redevenue maîtresse de ses mouvemens, aurait cessé d’être pour les deux cabinets un adversaire dans la question d’Orient, la France et l’Angleterre trouveraient leur but indiqué dans la condition présente de l’empire ottoman et dans les vœux que l’on surprend au fond de la pensée de ses hommes d’état. La Turquie est en voie de se régénérer par des procédés très analogues à ceux auxquels l’Autriche est elle-même contrainte de recourir, la conciliation des nationalités avec la race originairement conquérante et privilégiée. L’agitation de l’Europe et les affaires d’Autriche en particulier pouvaient avoir, en Turquie, l’un ou l’autre de ces résultats : ou de seconder prodigieusement le progrès de la conciliation des races et le mouvement concentrique des chrétiens autour des musulmans, ou d’arrêter ce progrès et de créer des divergences, en un mot, de mettre les races chrétiennes partout aux prises avec la race turque. Les Turcs ont su prévenir le danger, mais sans profiter autant qu’ils l’auraient pu de la bonne volonté des races chrétiennes. Ajoutons toutefois que le reproche ne tombe pas seulement sur les Turcs : telle est, en effet, la condition qu’une puissance savamment ennemie a faite au sultan, qu’il n’a pas la liberté d’innover chez lui à sa guise, et que, pour user de la plénitude de sa souveraineté en faisant le bien, il a besoin de la demander au cordial appui des cabinets de l’Occident, qui lui fait souvent défaut.

Un grave abus, qui peut compter parmi les principales causes de la décadence de l’empire ottoman, s’y est introduit et enraciné : c’est le système des protectorats. Par protectorat, je n’entends point seulement celui que le czar prétend