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« Ils sont avides et méchans ; il vous faudra les acheter : ces dépenses-là vous regardent. Mais écoutez-moi : quand je vous dirai avec mon œil : Donnez, — préparez un cadeau ; quand je vous dirai : Veillez, — ouvrez les yeux et les oreilles. Retournez donc à votre camp, achevez vos préparatifs, et revenez tous dans deux jours ; nous partirons le troisième au matin. »

La caravane marcha dans les sables jusqu’à la chaîne du Djebel-Mouydir, succession de mamelons peu élevés, sablonneux ou pierreux, coupés de ravins et de petites plaines, la plupart arrosées par des sources. Cette chaîne s’étend jusqu’aux montagnes de Foucas, à l’est ; dans le sud, jusqu’aux montagnes d’Hoggar, le pays des Touareug.

Les Touareug, qu’on appelle vulgairement les Voilés, se sont répandus de temps immémorial dans le pas inhabité depuis le Sahara au nord jusqu’au Niger au sud, et depuis le sable qui vient de l’Océan à l’ouest jusqu’à l’Abyssinie à l’est. Ils se rasent la figure et les moustaches, et portent des cheveux si longs, qu’ils sont quelquefois forcés de les tresser. Une longue chechia rouge couvre leur tête, fixée pas une étoffe de soie noire qui se rabat sur la figure et leur sert de voile, car, disent-ils, des gens comme nous de doivent pas se montrer. Leurs armes sont une longue lance à large fer, des javelots de six à sept pieds, dont la pointe est doublée de crocs recourbés, qu’ils portent attachés en faisceau sur le devant du mahari (chameau de pur sang) ; le bouclier rond, maintenu au bras gauche par des lanières de cuir et fait de peau de buffle ou d’éléphant du Soudan ; le poignard, qu’il renferment dans une gaîne appliquée sous l’avant-bras gauche, où il est attaché par un cordon, de manière que le manche de l’instrument, qui vient se fixer au creux de la main soit toujours facile à saisir et ne gêne en rien le mouvement ; ce poignard ne les quitte ni le jour ni la nuit. Quelques chefs seuls ont des fusils. Toutes ces armes sont à craindre ; mais la meilleure, c’est le sabre, le large sabre.

« Les balles et le fusil trompent souvent.

« La lance est la sœur du cavalier, mais elle peut trahir.

« Le bouclier, c’est autour de lui que se groupent les malheurs.

« Le sabre, le sabre, c’est l’arme du Targui, quand le cœur est aussi fort que le bras. »

Grace à Cheggueun, qui avait là encore une femme et des enfans, la caravane franchit heureusement ces défilés, où elle s’allongeait, chameau par chameau. Protégée par Ould-Biska, le chef de cette vaillante tribu de pillards, elle traversa sans encombre le pas des Touareug, admirant la beauté des eaux et ces moutons qui n’ont point de laine et dont l’énorme queue traîne à terre[1], mais toute tremblante au récit des effrayantes actions des Touareug. Une seule histoire,

  1. Il y en a un de cette race au Jardin des Plantes.