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les grains d’un collier ferrés comme des chevaux ; que chacun d’eux portait une lance au bout de son fusil et sur le dos un bât qui contient ses provisions qu’à tous ils ne faisaient qu’un seul coup de fusil ; on vantait leur justice les chefs ne commettaient point d’exactions ; devant les cadis, le pauvre valait le riche. Mais on leur reprochait de manquer de dignité, de rire même en disant bonjour, d’entrer dans les mosquées sans quitter leurs chaussures, de ne point être religieux, de laisser à leurs femmes une trop grande liberté, de se faire leurs complaisans, de boire du vin, de manger du cochon et d’embrasser leurs chiens.

« Le lendemain, au point du jour, quand ils quittèrent leur hôte, il leur parla ainsi : « Lorsque je vous ai dit hier au soir : Mon fils dort d’un profond sommeil, il venait de se tuer en tombant du haut de la terrasse où il jouait avec sa mère. Dieu l’a voulu ; qu’il lui donne le repos. Pour ne pas troubler votre festin et votre joie, j’ai su contenir ma douleur, et j’ai fait taire ma femme désolée en la menaçant du divorce ; ses pleurs ne sont point venus jusqu’à vous, mais veuillez ce matin assister à l’enterrement de mon fils et joindre pour lui vos prières aux miennes. »

Ces paroles furent accueillies par les Arabes avec un sentiment de douleur mêlé d’admiration, et tous allèrent religieusement enterrer le pauvre enfant. « Telle est la loi de l’hospitalité. Un hôte doit éloigner de sa maison toute douleur, toute querelle, toute image de malheur qui pourrait troubler les heures de ses amis ; le prophète, qui a donné ces paroles, a dit encore : Soyez généreux envers votre hôte, car il vient chez vous avec son bien ; en entrant, il vous apporte une bénédiction ; en sortant, il vous emporte vos péchés. »

De Guelea, l’on alla coucher au marabout de Sdi-Mohamed-ou-Allal, au milieu des dattiers que Sidi-Mohamed avait plantés lui-même. C’est le marabout Sidi-Mohamed qui disait à ses serviteurs : « Méprisez cette terre, qui ne vaut pas l’aile d’un moucheron, et maudissez les biens du Chitann (Satan). Sidi-Mohamed était du reste un homme de Dieu célèbre par les légendes pieuses qu’il aimait à raconter. En voici une, entre autres, que le voyageur ne manque jamais de rappeler à celui qui, pour la première fois, s’arrête auprès du marabout vénéré, dernière demeure du saint homme :

« Un Jour, Sidna-Aïssa (notre seigneur Jésus-Christ) fit rencontre du Chitann qui poussait devant lui quatre ânes lourdement chargés et lui dit :

« — Chitann, tu t’es donc fait marchand ?

« — Oui, seigneur, et je ne puis pas suffire au débit de mes marchandises.

« — Quel commerce fais-tu donc ? « — Seigneur, un excellent commerce : voyez plutôt.

« Des quatre ânes que voici, et que j’ai choisis entre les plus forts de la Syrie, l’un est chargé d’injustices ; qui m’en achètera ? les sultans.

« L’autre est chargé d’envies ; qui m’en achètera ? les savans.

« Le troisième est chargé de vols ; qui m’en achètera ? les marchands.