l’histoire et l’opinion sont-elles toujours équitables, et ne peut-on pas en appeler quelquefois de leurs décisions ? Ce qui est digne de blâme dans cette politique, ce que rien ne peut excuser, c’est le manque de franchise. Le cabinet de Versailles ne pouvait se faire illusion sur la possibilité d’un partage de la Pologne. Nous avons vu que cet événement était pressenti depuis un siècle, et il ne fallait qu’une perspicacité médiocre pour le croire plus rapproché que jamais. L’imprévoyance à cet égard ne pouvait être que volontaire. C’était fermer les yeux à l’évidence. Le danger reconnu, il fallait donner aux Polonais un conseil utile, au risque de choquer leurs préjugés et de blesser leur amour-propre. Au lieu de les encourager à la défense de leurs vieilles lois vicieuses et inapplicables dans la situation où l’Europe se trouvait alors, il fallait les engager à entreprendre eux-mêmes avec courage et résolution la réforme de leur antique anarchie. Il fallait ensuite ne pas s’obstiner à soutenir des candidatures étrangères, et notamment celle de la maison de Saxe, odieuse à la majorité de la nation. La France n’y était tenue par aucune obligation. Il ne s’agissait pas de conserver à la dynastie saxonne un trône héréditaire ; non-seulement elle n’avait rien à prétendre après la mort d’Auguste III, mais ses prétentions n’avaient plus de représentans. L’électeur de Saxe venait de mourir quelques mois après son père, ne laissant qu’un enfant en bas âge, deux frères : Charles, duc de Courlande, et Xavier, comte de Lusace, qui n’avaient aucune chance, et que la cour de Versailles recommandait très mollement ; il n’y avait pas même d’accord entre le roi et son ministre sur les exclusions. D’un côté, Louis XV soutenait la maison de Saxe par amitié pour sa belle-fille ; de l’autre le duc de Choiseul, ennemi de M. le dauphin, affaiblissait en secret l’effet de ces démarches, et réprimandait vivement un de ses agens qui avait cru faire sa cour en se déclarant Saxon à toute outrance.
Loin de servir les Polonais, cette politique ambiguë et timide doublait les ressources de leurs adversaires. Elle leur prêtait une grande force morale par le seul effet d’un contraste si frappant entre l’incertitude des uns et la résolution des autres. Il n’y avait pour la France qu’un seul moyen de combattre efficacement sur ce terrain les forces réunies de la Prusse et de la Russie : c’était de prendre leur drapeau, de déclarer comme elles la nécessité d’écarter les étrangers et de couronner un Piast, avec la réserve toutefois de n’indiquer aucun candidat en particulier, de laisser le champ libre à la nation entière, ce qui produisait la concurrence, et rendait bien difficile la restriction de la candidature à un petit nombre d’individus et surtout à un seul.
Il fallait aussi (et on le pouvait) attacher à cette élection la destruction de l’anarchie sarmate. Quelle meilleure occasion pour réformer