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pas sur le territoire continental ? En donnant aux officiers l’instruction qui est nécessaire pour qu’ils prennent goût à la direction de ces travaux, et en accordant aux soldats une prime proportionnée au travail qu’ils exécutent, mais inférieure d’un tiers ou de moitié au salaire de l’ouvrier libre, on obtiendrait des résultats qui ne seraient pas indifférens pour la fortune publique.

Ce système aurait encore l’avantage d’enlever l’armée, officiers et soldats, à l’oisiveté des garnisons qui les démoralise et les énerve. On les endurcirait ainsi aux fatigues, ou développerait les forces du corps par le travail et par une nourriture plus substantielle ; les occupations de la paix seraient une préparation à la guerre. L’armée distrait chaque année des occupations immédiatement productives, telles que l’industrie manufacturière et l’agriculture, 80,000 jeunes gens qui sont, au point de vue de la vigueur physique, l’élite de la population. Il y a là un mal pour le pays, que l’on prive ainsi d’un accroissement très réel dans la production industrielle ou agricole ; il y a dommage pour les jeunes soldats eux-mêmes, quand on déshabitue ces bras robustes des fatigues salutaires, et ces intelligences des méthodes du travail.

L’exécution des canaux et des chemins de fer, telle qu’on l’a organisée chez nous, présente les inconvéniens les plus graves. Elle traîne à sa suite d’immenses agglomérations d’ouvriers qui ne peuvent se former qu’en laissant des vides nouveaux dans la main-d’œuvre réclamée par les campagnes, et qui produisent par leur exemple, sur tous les points où les ouvriers sont appelés, une hausse désordonnée et par conséquent immorale des salaires. Ce déplacement d’une population nomade, qui s’opère sans règle, sans choix et comme au hasard, apporte partout le trouble. Ce sont des régimens civils qui n’ont pas de discipline ni de drapeau, et au sein desquels fermente souvent la contagion la plus immonde. En Angleterre, la race des navigateurs forme une armée industrielle qui atteint le chiffre d’environ 300,000 hommes ; une enquête récente[1] a révélé, sur ces réunions d’ouvriers, des faits qui indiquent des habitudes étrangères à la civilisation et bien voisines de la barbarie. Le mal, sans être aussi étendu ni aussi profond, a fait bien des progrès en France. Croit-on, par exemple, qu’il n’eût pas été à souhaiter que l’armée exécutât seule les fortifications de Paris, quand on voit les ouvriers agglomérés par ces travaux dans la capitale y entretenir un foyer permanent d’agitation, se mêler à toutes les commotions qui en ont fait un champ de bataille, et qui tendent à la dépouiller de sa population et de sa richesse ? L’armée est déjà un instrument d’ordre ; elle ne cessera de peser sur nos finances et sur notre industrie que lorsqu’elle deviendra un instrument de travail.

Au budget ordinaire, qui est de 1,408 millions pour les dépenses de

  1. On RailwayLabourers.