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Mystico, dar, dar, tire lire,
Cli, clo, cla, la lirette, la liron.

Depuis, j’ai changé de bataillon, et la chanson s’est envolée de ma mémoire. Souvent je la cherche, je l’appelle avec cet amour passionné qu’inspirent les chansons perdues. Ces airs qu’on ne retrouve pas et qu’on poursuit avec une sorte de fièvre du cœur me rappellent la légende païenne d’Eurydice, légende qui m’arrachait des pleurs à l’époque où l’on est l’ami d’Ali-Baba et l’émule d’Achille, où l’on trouve tout à coup, au fond d’un vieux livre, cette fraîche Tempé dont parlent les poètes, où l’on dit de vous : il n’a pas encore vécu, et où l’on vit de la vie enchantée.

Toute la gaieté militaire dont je viens de donner une idée ne me cacha pas cependant de grandes tristesses et d’irréparables malheurs. Là où s’est résumée pour moi l’affliction de ces journées qui ont laissé sous tant de toits des traces sanglantes, c’est dans une rencontre à laquelle j’ai songé souvent. Au milieu d’une rue où nos tambours battaient la charge et que des balles traversaient dans tous les sens, j’aperçus le long d’une maison une femme en noir qui joignait les mains et qui avait les yeux en larmes. Je rencontrai son regard en passant, et je lui adressai ces paroles dénuées de sens : « Calmez-vous ; il n’a pas de danger. » Pauvre femme ! était-ce le danger qu’elle craignait ? Peut-être avait-elle perdu un enfant ! Les ombres de la mort sur de jeunes et hardis visages ne m’ont point touché comme cette apparition. Je ne voyais que les hommes et le sang. J’avais oublié les femmes et les pleurs.

J’appris à l’hôpital la mort glorieuse des deux officiers dont j’ai parlé, Antonin B… et Guillaume de N… L’un fut frappé au cœur, l’autre au front. Pour la première fois depuis que j’ai commencé ce récit, j’hésite sur le choix de mes paroles. J’aimerais et je n’ose m’étendre sur des souvenirs que le tombeau a rendus sacrés. Je me suis toujours demandé jusqu’à quel point il était permis à l’écrivain d’ensevelir ceux qu’il aimait dans ses œuvres. N’est-ce pas un endroit bien profane qu’un livre pour de chères et saintes sépultures ? Je ferai seulement ici, à mes deux camarades, le rapide et viril adieu que je leur aurais fait sous les balles, s’ils étaient tombés près de moi. Je serrerai en pensée leurs mains dont je ne sentirai plus les cordiales étreintes, et je leur souhaiterai avec ferveur, en ce monde invisible qui s’est ouvert si brusquement pour eux, ce bonheur, d’une espèce inconnue, placé par la foi et par nos désirs dans la mort.

C’est dans les journées de juin que se résume toute l’histoire de la garde mobile. Paris eut pour nous un de ces violens et rapides enthousiasmes