Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se montrèrent pour la première fois pleins de bonne grace vis-à-vis de lui. J’ai souvent remarqué dans le peuple des merveilles de tact. La chanson du paysan fut applaudie avec vivacité et sans moquerie, comme, elle l’eût été par des gens habitués à suivre les règles du goût et les instincts de la bonne compagnie. Je ne dirai certainement pas, comme un faiseur d’idylles ou comme un orateur démagogue, que le peuple l’emporte dans ses mœurs sur les gens qui ont reçu du ciel la naissance et de la société l’éducation, mais je rendrai cependant hommage à certaines réunions comme celle dont je me souviens en ce moment. J’y ai trouvé quelquefois des jouissances d’un ordre élevé et calme ; je n’y ai ressenti jamais ni ces violens dégoûts, ni cet ennui amer et infini qu’on rencontre à chaque instant dans le monde, tant qu’on a l’esprit droit et le cœur jeune.

Tout en buvant et chantant, nos hommes faisaient leur éducation militaire. On avait envoyé de différens régimens de l’armée quelques officiers et un certain nombre de sous-officiers et caporaux désignés dans nos bataillons sous le nom de cadre, qui étaient chargés de nous apprendre le métier de soldat. Le cadre fut d’abord assez mal accueilli, dans le bataillon du moins auquel j’appartenais. La première fois que le peloton de nos instructeurs partit à la porte de Reuilly, ce fut un tapage infernal dans la caserne. On courait aux armes ; on déclarait qu’il n’entrerait pas. Le peuple est un singulier mélange de confiance aveugle et de sauvage défiance ; il s’endort à vos pieds ou vous met en pièces. Les nôtres étaient en humeur défiante ce jour-là ; mais quelques bonnes et cordiales paroles calmèrent une irritation sans cause. Officiers et soldats de la ligne parvinrent à pénétrer dans la caserne ; au bout d’une heure, on leur faisait fête. Je l’ai dit en commençant ces souvenirs, l’esprit militaire est le fond du caractère parisien. Quand les mobiles se furent bien convaincus que leurs instructeurs ne venaient point les traîner dans des geôles, mais leur apprendre l’exercice, ils les reçurent comme les enfans reçoivent de soldats. Tout Paris a été étonné de la rapidité merveilleuse avec laquelle ces conscrits de la rue prirent des allures de troupier. Nos premières patrouilles marquaient le pas avec tant de mesure et d’ensemble, que les applaudissemens partaient sur notre passage. Quant au maniement, on l’apprenait avec une incroyable ardeur. J’ai vu des pelotons exécuter en huit jours les charges et les feux. Nous étions à Paris par le corps, mais par l’ame nous étions tous sur la frontière. La frontière ! quand je serai vieux, ce mot me rappellera les plus chères songeries de ma jeunesse. Qu’il nous semblait retentissant et radieux ! C’était le seuil du monde de la gloire, du jardin des batailles, du paradis de la trompette et du canon.

Ce n’était point seulement le maniement des armes que nos volontaires