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j’ai les scènes révolutionnaires en aversion, et cette aversion chez moi est même poussée si loin, qu’elle me gâte dans l’histoire de notre première république jusqu’à l’héroïsme de nos volontaires. Même dans le bruit des canons de Jemmapes et de Fleurus, j’entends des plaintes de femmes égorgées, j’ai peur que quelques-uns de ces pieds nus qui marchent sur les corps des Prussiens n’aient marché dans le sang de septembre. Voilà qui m’éloigne des héros en guenilles. Je l’avoue toutefois, nos guenilles me furent chères, et le côté militaire d’une révolution me toucha, le jour où l’on arma le bataillon dont je faisais partie. Nous étions arrivés à Vincennes avec les premières clartés du jour ; je vis le soleil se lever derrière ces tourelles qui appellent le cœur à la fierté et à la rêverie. Nos hommes, répandus dans les cours, examinaient en riant ces formidables amas de boulets et de bombes qui sont disposés avec symétrie. C’étaient des plaisanteries qui me charmaient et des désirs que je partageais à propos de ces trésors guerriers. On souhaitait que la France un jour les répandît sur toutes les plaines de l’Europe. Je le souhaite encore, et ne cesserai jamais de l’espérer. Tout à coup le tambour nous appelle, à nos rangs, les portes de l’arsenal s’ouvrent, et le premier peloton est introduit. Non, je n’oublierai jamais avec quelle expression triomphante repartirent ces hommes qui étaient, entrés sans armes quand ils sortirent avec des fusils. J’ai vu plusieurs de nos volontaires embrasser cet humble et puissant instrument de la gloire roturière avec autant de ferveur qu’en purent jamais mettre les Du Guesclin et les Bayard à embrasser leurs épées. On entonna la Marseillaise, et je sentis passer dans nos rangs comme le souffle de la patrie.

À notre retour, une pluie orageuse de printemps tomba sur nous et perça les pauvres sarreaux dont la plupart de nos hommes étaient vêtus ; mais l’enthousiasme durait encore. « Pourquoi, ne pleut-il pas des balles ? » dit un enfant de quinze ans, qui marchait d’un pas leste, et cadencé en portant sur chaque épaule un fusil. En ces instans, je remerciais Dieu des compagnons qu’il m’avait donnés, et je me disais qu’il ne fallait désespérer ni de l’espèce humaine ni de la nation française, puisqu’il y avait encore des ames guerrières. Tant qu’un peuple aime la guerre, il est au-dessus de la matière il comprend le dogme divin du sacrifice ; il échappe aux ténèbres de la fausse sagesse par le plus lumineuse de toutes les routes, celle où la gloire immortelle et la gloire de ce monde répandent en même temps leurs clartés.


II

Combien de gens parlent du peuple, et ne l’ont jamais connu ! Chose étrange, mais que j’ai cent fois remarquée, le bourgeois n’a en aucune