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pourtant par la sagacité de ses vues, et où perce plus que dans un autre document officiel, le pressentiment des funestes effets de notre éducation, appelait, sans trop s’en étonner, l’immense attrait de Paris.

Cet attrait est grand, il est vrai. Les arts, la politique, l’ivresse des plaisirs grossiers et le charme des jouissances délicates, l’espoir ou l’éclat de la fortune, tout conspire à donner au seul nom de Paris, d’un bout de l’Europe à l’autre, un effet véritablement magnétique. Ceux qui y ont toujours vécu s’en font difficilement une idée juste. Ce n’est qu’au loin que ce foyer, qui se dévore incessamment lui-même et embrase ceux qui l’approchent, projette tous les rayons éblouissans de sa lumière. Qu’il agisse ainsi sur des petites villes de province de France, quand, de Saint-Pétersbourg ou de Madrid, on résiste difficilement à sa séduction, c’est de quoi, sans contredit, il n’y a pas à s’étonner ; que le charme soit plus actif encore à cet âge qui est, par excellence, celui des aventures et des plaisirs, c’est encore assez naturel ; mais il y a lieu d’être plus surpris qu’un grand système d’éducation paraisse disposé de manière à favoriser cette soif d’émotions et de hasards qui précipite des générations à peine écloses vers le centre commun de toutes les ambitions et de toutes les jouissances, Il y a lieu d’être plus surpris qu’une corporation enseignante, qui devrait avant tout rechercher, pour ceux qui lui ont consacré leur vie comme pour ceux qu’elle doit rendre à la vie commune, les loisirs laborieux de la réflexion, l’activité réglée des études et la modération des désirs, paraisse organisée tout entière comme une administration de théâtre qui prépare, réserve, achète au besoin hors de prix ses premiers sujets en tout genre pour les applaudissemens du public bruyant d’une capitale.

N’exagérons rien. Il y a sans doute de la force des choses et de la faute de notre constitution sociale tout entière dans cette concentration précoce de la jeunesse de France dans la seule ville de Paris ; mais il va aussi de la faute des dispositions du système universitaire. C’est bien, sans contredit, à l’Université d’avoir établi à grands frais, depuis vingt ans, des collèges de plein exercice dans beaucoup de chefs-lieux de département ; mais ce qu’elle fait d’une main, elle le détruit de l’autre en conservant aux collèges de Paris des prérogatives d’honneur qui n’ont d’autre résultat que de leur assurer une supériorité systématique sur tous les collèges de province. On va dire que c’est un bien petit détail, en présence de si hautes considérations, que les concours généraux de l’académie de Paris et les grandes solennités qui en font le prestige aux yeux des écoliers ; mis, comme il arrive souvent, ce petit détail donne la clé d’un résultat général dont les conséquences étonnent. Cette brillante cérémonie annuelle dans laquelle figure, s’adressant directement aux jeunes gens, un des premiers personnages de l’état, souvent un des premiers orateurs de la tribune politique ;