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aussi de protéger les dissidens contre l’oppression de l’église dominante. Enfin, par une convention secrète, signée le même jour, 31 mars 1764 (11 avril 1764), ils s’engagèrent à faire en sorte que l’élection tombât sur un Piast.

On peut s’étonner du rôle secondaire que Frédéric sembla accepter dans ce traité d’alliance. Comment a-t-il pu s’y résigner, lui qui avait bravé l’Europe conjurée ? Aucun avantage n’est stipulé en faveur de la Prusse : elle ne paraît pas ici que comme l’humble satellite d’un astre prédominant. Lorsqu’on examine de près le caractère de Frédéric et qu’on songe à la grandeur de son courage, une telle abnégation a, en effet, de quoi surprendre, mais, arrache récemment aux suites d’une guerre désastreuse, échappé comme par miracle à la perte de sa capitale et à la ruine entière de ses états, Frédéric ne demanda plus rien à ses armes et voulut tenir tout de son génie. Il tendait plus directement à son but en flattant sa puissante alliée, qu’en essayant de la heurter. Sans perdre de vue un seul instant l’objet principal de son ambition, il ajournait la conquête pour l’assurer davantage, convaincu qu’il ne lui fallait que de la sagacité, de la patience et du temps, que l’excès même de ses complaisances provoquerait, dans toutes les cours de l’Europe, une explosion jalouse d’où sortirait enfin, par une conséquence nécessaire, non pas l’impossible salut de la république, mais son partage, son démembrement, sa ruine, c’est-à-dire la création définitive de la Prusse, cette fille de la Pologne, forcée, pour vivre, de mutiler sa mère.

Dès ce moment, l’alliance du roi de Prusse et de l’impératrice de Russie devint intime. Des démarches simultanées l’annoncèrent à la Pologne et l’Europe. Catherine publia un manifeste par lequel elle déclara ne vouloir s’approprier, par un démembrement, aucune portion du territoire polonais. Certes, à en juger par l’événement, une telle déclaration semble dérisoire mais si on a lu avec quelque attention ce qui précède, on a vu qu’elle répondait aux vues de la politique de Catherine, nous disons de sa politique, car il y aurait de la naïveté à supposer un autre mobile ; Catherine ne pouvait assurément se faire aucun scrupule de la pensée d’un partage territorial, qui, loin d’être sans précédens, comme on l’a dit souvent et comme on le répète tous les jours, en avait déjà eu plusieurs dans le courant des deux derniers siècles. Nous ne parlerons pas du projet de démembrement des Provinces-Unies arrêté dans l’année 1672 entre Louis XIV et Charles II, roi d’Angleterre, et des deux traités de 1698 et de 1700, qui stipulaient un démembrement non-seulement de la monarchie espagnole, mais de l’Espagne elle-même, puisqu’elle y perdait la ligne de l’Ébre, donnée à la France. Ces projets restèrent sans exécution, l’un, parce qu’on ne partage pas un pays défendu par un Guillaume d’Orange ; l’autre, par