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soit plutôt de faire des idées et de préparer les solutions organiques, je n’y résiste pas, j’offre ma liberté. S’il ne s’agit que d’actes individuels, sans portée, sans effet général ; s’il ne s’agit que d’un petit et faux calcul d’ambition, que de se grandir dans l’opinion démocratique, comme disent ceux de mes amis qui penchent pour que j’aille à Versailles ; s’il ne s’agit que de cela, je n’en veux pas. Eh ! bon Dieu ! je ne refuse pas de grandir ; mais j’estime que l’on ne grandit sérieusement que par des services sérieux, non par des artifices.

« Résumant en deux mots mon résumé, je dis : Ou toutes les têtes engagées du parti, ou, de ceux que l’ennemi ne tient pas, personne. »

Nous avons cité la déclaration de M. Considérant pour plusieurs raisons : et d’abord remarquons que si la prison jalouse l’exil, voilà l’exil à son tour qui jalouse le domicile. L’instinct démocratique est partout le même. Cependant nous trouvons assez raisonnable la réflexion de M. Considérant à propos des signataires de la proclamation des Arts-et-Métiers. Ils ont tous adhéré moralement à cet acte ; ils ne l’eussent probablement pas désavoué, s’il avait réussi. Quelle est donc la différence entre eux et M. Considérant ? M. Considérant est à Bruxelles, quoique accusé, et ils sont à Paris, quoique accusables, moralement du moins ; mais ils ont, eux et lui, voulu la même chose. Quand donc les accusables disent à M. Considérant l’accusé : Venez vous mettre en prison, venez être le martyr de la cause, cela fera bon effet pour vous et pour nous, M. Considérant répond gaiement : Venez vous-mêmes ; et comme on insiste, comme ses amis veulent à toute force qu’il aille à Versailles sans y aller eux-mêmes, M. Considérant explique avec beaucoup de sérieux, ce qui n’est pas moins gai, que son rôle est de faire des idées et non d’être martyr. Parti héroïque où chacun veut de son ami faire un illustre martyr, mais ne se soucie pas de l’être soi-même !

La montagne était en train d’être plaisante cette quinzaine. Elle a cru en effet devoir livrer un grand combat sur la suppression du mot citoyen dans le Moniteur. Voici comment les choses se passaient : à la tribune, tout le monde disait messieurs ; dans la salle des conférences, tout le monde disait monsieur ; à la ville et à la campagne, tout le monde disait monsieur ; dans le Moniteur, on disait citoyen. Pourquoi le Moniteur, si exact en toutes choses, était-il inexact en ce point ? Il parait que le salut de la république était intéressé à cette inexactitude. Cela nous a rappelé le temps où, sous la restauration, aucun député ne pouvait parler à la tribune sans avoir son habit. Le salut de la monarchie était intéressé, disait-on, au décorum du costume. Chose bizarre que chez nous le théâtre empiète toujours sur la vie réelle ? Nous aimons les oripeaux et le clinquant, clinquant monarchique un jour, clinquant démagogique un autre jour. Nous ne nous étonnons pas, au surplus, que la montagne tienne tant aux effets de scène. Eprise de chimères et de souvenirs, elle court après une société factice et impossible. S’appeler monsieur dans le Moniteur, fi donc ! le Moniteur est la scène, et sur la scène les acteurs se traitent de seigneur ! Appelons-nous donc citoyens pour la lus grande pompe de l’opéra parlementaire ; nous nous appelons monsieur à la ville.

Toute ridicule qu’elle est, cette discussion a cependant son fonds sérieux. Le citoyen du Moniteur est un reste du protocole de cette république de mars et d’avril 1848, qui aurait été tout-à-fait une mascarade, si elle n’avait été en même