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Ce qui doit encourager le parti modéré à oser se défendre dans l’avenir, c’est l’affaiblissement et la division continue du parti socialiste. Chose singulière en effet, les doctrines font des prosélytes, et nous ne nous en étonnons pas ; elles ont pour prise sur le cœur humain les sept péchés capitaux : c’est une prise éternelle ; mais, si les doctrines s’étendent, le parti ne s’accroît pas : il n’a ni plus d’union ni plus de force qu’il n’en avait. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les déclarations des chefs du parti à propos du procès de Versailles. Ils annoncent qu’ils ne viendront pas prendre part aux débats de ce procès. Nous ne sommes pas surpris de cette résolution, mais nous, appelons l’attention sur les deux derniers paragraphes de la déclaration « On nous a dit que notre résolution serait calomniée, qu’on l’interpréterait à mal. Si cela vient de nos ennemis, peu nous importe ; si ce sont nos amis, qu’ils réfléchissent avant de blâmer. Nous leur dirons à tous, en finissant, que, s’il leur arrive jamais d’être jetés en exil après un grand devoir accompli, leur liberté ne nous paraîtra pas un privilège, et nous ne les accuserons pas de bonheur. » Comme cette dernière phrase est de quelqu’un qui connaît bien la démagogie et ses instincts envieux ! C’est donc de bonheur que les chefs réfugiés à Londres sont accusés par leurs compagnons d’émeute : la prison jalouse l’exil !

La déclaration de M. Ledru-Rollin n’est pas signée par M. Considérant. M. Considérant, cependant, a déclaré aussi, de son côté, qu’il ne viendrait pas se constituer prisonnier ; mais il l’a déclaré avec cette manière originale et presque comique qui appartient à M. Considérant. On se souvient que, racontant la scène du Conservatoire des Arts-et-Métiers, M. Considérant disait que ses amis étaient là, attendant l’émeute qui allait venir, et se demandant les uns aux autres : Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Pour des conspirateurs, l’attitude était grotesque. Le contumace n’est pas moins gai que le conspirateur : il propose aux cent quarante ou cent cinquante membres de la montagne dont les noms figurent au bas de la proclamation du 12 juin, « de déposer au parquet de la république une déclaration judiciaire, en conséquence de laquelle force sera à MM. les magistrats de les joindre au procès. Quelle que soit physiquement, dit-il, la question de signature, ils ont moralement adhéré, ils adhèrent moralement encore à notre protestation, et ils ont tous communié, pour le moins en esprit, avec la manifestation, constitutionnelle à notre sens et au leur, qui l’a suivie.

« Il n’y a entre eux et nous d’autre différence que celle d’avoir échappé, nous à la prison, eux à l’accusation, ils ont, au même titre que nous, le droit d’être accusés et de se faire condamner. Qu’ils revendiquent leur droit. On peut d’ailleurs, en faisant courir des listes de déclaration judiciaire convenablement formulées, donner à la mesure une extension magnifique C’est précisément la situation que je voulais créer, quand je proposais, le 11 et le 12 juin, à mes collègues, de décréter, à l’assemblée, la déchéance du pouvoir exécutif et de sa majorité, et de nous faire jeter cent cinquante ou deux cents, toute la représentation démocratique et sociale, en prison. Si nous suivons ce plan (mais il faut le bien suivre et se faire carrément arrêter), ces messieurs de la réaction se seront bientôt entredévorés.

« Je me résume : si l’on veut accomplir quelque chose de grand frapper un coup décisif, rendre le la cause un service sérieux, bien que ma mission spécial