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on est toujours sûr de rencontrer M. Jules Sandeau. On s’accorde à rendre cette justice à l’auteur de Marianna : en décrivant avec une liberté absolue le jeu puissant, les ressorts énergiques de la passion, il a toujours su cacher, et cela sans la moindre apparence de pédantisme, la leçon sous le récit. Le talent de M. Sandeau a, si l’on peut dire ainsi, deux cordes toujours également prêtes à résonner sous ses doigts : l’une est le cœur humain dans ses replis profonds et dans ses mouvemens impétueux, l’autre est cette observation fine et douce dont le Docteur Herbeau est un délicat modèle. Ce n’est pas au drame sérieux, c’est bien plutôt à cette comédie souriante qu’appartient la Chasse au Roman. Le roman ! qui ne l’a poursuivi une fois au moins dans sa vie ? Quelle jeunesse ne s’y est laissé prendre, que dis-je ? ne l’a appelé de tous ses vœux ; sauf à en revenir les mains écorchées et le cœur saignant ? C’est cette poursuite acharnée de l’aventure, de l’épisode passionné, que M. Sandeau a voulu peindre dans l’aimable récit qu’il nous donne. Ses personnages sont tracés d’une main ferme, élégante, et Valentin, son héros, est un type qui ne manque pas d’agrément. Toutefois nous pensons que M. Jules Sandeau aurait pu, sans faillir à son but, sans manquer à l’intention critique qui le guidait, prêter à ce jeune homme un peu moins de facilité à être dupe et un degré un peu plus élevé de poésie. L’auteur de Fernand est assez riche pour ne pas craindre de se mettre en frais à cet égard. Ce qui fait le charme de ce récit, écrit avec le soin qui distingue tout ce qui sort de la plume de M. Sandeau, c’est que l’auteur de la Chasse au Roman traite avec indulgence, et même avec une sorte de complaisance très aisée à concevoir, ces rêves que sa raison condamne. Il ne rit pas de ces maladies de l’imagination, il se contente d’en sourire. Il y a une grande injustice à accuser M. Sandeau de bafouer l’illusion. Sa morale n’a pas tant de sécheresse, et celui qui renseigne ne craint pas d’avouer à quel prix il a acquis le droit de donner des conseils ; la façon enjouée dont il les présente est une preuve de plus de sa sincérité. Moitié moqueur, moitié complice, il peint des erreurs qu’il pardonne, et son imagination se charme encore de ce que sa prévoyance doit blâmer. Si l’auteur de la Chasse au Roman n’a plus vingt ans, on sent qu’il les a eus, et que lui-même s’en souvient. Rien n’est mieux fait que le souvenir mélancolique de l’illusion pour tempérer, l’ironie de l’âge mûr.

Les Mémoires d’un Notaire offrent peu de rapports avec ces romans dont la donnée est si simple ; ils nous ramènent à ces œuvres fortement intriguées où dominent le mouvement et l’action. L’auteur, M. a de Pontmartin, prétend, dans ce livre, avant tout intéresser, et il y réussit. Son ouvrage, rempli d’heureux détails, mêle souvent la vigueur du récit à la grace des descriptions, à l’éclat des peintures. Toutefois le spirituel écrivain, habitué à exercer ici même les fonctions de la critique (avec quel charme et quelle sûreté, les lecteurs de la Revue le savent), nous pardonnera notre franchise : il faut toute la souplesse d’un talent aussi ingénieux pour dissimuler, même en partie, l’invraisemblance du fond sur lequel se détachent d’élégantes broderies. Une vengeance, qui dure quatre-vingt-dix ans, de père en fils, pour punir un mari dont la femme est morte de chagrin, c’est là une bien sombre légende, une bien longue horreur. Les Mémoires d’un Notaire ne se recommandent pas moins par des qualités d’une rare distinction De courtes, mais vives échappées de paysage, une peinture