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notre sévérité à un parti-pris, contre les jeunes gloires : l’hommage que nous rendons avec tant de plaisir à son poète aimé déjouerait un tel sophisme d’amour-propre. Nous ne cherchons que ce qui est vrai, nous n’aspirons qu’aux œuvres sincères, et c’est au nom de ce sentiment que nous lui déclarons qu’il est bien temps d’en finir avec le pastiche. La critique est ici parfaitement à l’aise ; elle n’a point à craindre de décourager le talent par des rigueurs prématurées. L’art même imparfait, l’inspiration même débile, ont des susceptibilités d’imagination, des délicatesses qu’il convient de ne pas froisser à l’excès, qu’il est bien de respecter au moins dans leur source ; mais le pastiche, dans ses étroites combinaisons, dans ses feintes habiles, dans ses calculs compassés, me parait avoir bien plutôt l’esprit rassis et l’imperturbable sang-froid du joueur. Pourquoi craindre de blesser des vanités et des intérêts ? Si le pastiche n’est par hasard pour quelques-uns que le début, le tâtonnement de l’inexpérience, ceux-là n’ont-ils pas tout à gagner à ce que des voix amies leur répètent qu’ils ne profiteront guère à consulter une sibylle épuisée qui ne répond que par des hémistiches brisés et des centons de collége, et qu’en fardant à outrance de leurs mains de vingt-cinq ans une vieille coquette qui eut jadis de l’esprit, de la grace et de la beauté, ils ne lui rendront pas sa jeunesse et ses fraîches couleurs ? L’érudition a sa place sérieuse, aimable parfois, mais à l’Académie des Inscriptions. N’y aurait-il pas une manière moins détournée d’y poser sa candidature ? Autrement, qu’on ne s’y méprenne pas. En visant au rôle de Sophocle, on manquerait même celui de Brumoy.

Est-ce au second Théâtre-Français, est-ce au Théâtre-Historique, est-ce sur les principales scènes du boulevard, que nous rencontrerons cette comédie vierge, si pleine de secrets non soupçonnés, qui, dans la solitude où elle se morfond, n’attend qu’un fiancé digne d’elle ? Il serait, disons-le à priori, permis d’en douter. En matière de théâtres non plus qu’en matière de journaux, multiplicité n’est pas synonyme de fécondité. S’il en était autrement, l’art et la politique n’auraient jamais été dans un état plus prospère. Nous avons vu se multiplier les feuilles quotidiennes ; une idée de plus s’est-elle fait jour ? La quantité des scènes depuis Corneille et Molière s’est démesurément accrue : en est-il sorti une œuvre de quelque valeur ? Deux ou trois petites questions se présentent ici, et le moment est peut-être venu de les poser aux législateur. La multiplicité des théâtres est-elle un fait naturel ou factice ? Si elle est un fait naturel, comment se fait-il qu’elle soit improductive sous le double rapport de l’art et du revenu ? Si elle est un fait factice, dès-lors stérile, pourquoi s’obstiner à le perpétuer ? Toute argumentation languit auprès des réponses trop péremptoires du budget. Certains théâtres ont trouvé une singulière façon d’établir l’équilibre ; ils compensent le passif financier fort surchargé par un actif littéraire qui est à peu près nul. Saurait-on mieux s’y prendre pour donner des alliés contre soi aux adversaires du régime protectionniste appliqué aux choses de l’art ? Que répondre, en vérité, quand on vient vous dire : Le même fait qui appauvrit le budget appauvrit la scène ? On établit une concurrence qui nuit aux théâtres existans par eux-mêmes sans rendre viables ceux qu’on institue et qu’on soutient arbitrairement. On place follement au pied des deux ou trois arbres survivans qui pourraient être vigoureux des plantes parasites qui leur soutirent une partie de leur sève sans devenir elles-mêmes pour cela ni plus