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SACS ET PARCHEMINS.

vrault avait déjà des airs de cour ; il n’était pas la rose, mais il vivait près d’elle.

La Trélade avait pris une face nouvelle. La vie renaissait, s’agitait, bourdonnait dans ces lieux où Gaspard avait laissé la désolation, le silence et la solitude. Laure triomphait en secret. Avec le sentiment de son importance, M. Levrault avait retrouvé toute sa verve et tout son entrain. S’il pensait encore aux prédictions de Jolibois, c’était pour en rire. Comment aurait-il douté de la solidité du trône de juillet, quand la marquise elle-même se permettait à peine d’en douter ? Avec cette finesse d’intelligence qui lui faisait rarement défaut, il en était venu tout doucement à suspecter le désintéressement des bons avis du tabellion, à se demander si le drôle n’avait pas tenté, lui aussi, un coup de main sur les millions du grand industriel ; il se gaudissait tout seul en songeant au pied de nez avec lequel maître Jolibois avait dû, ce jour-là, rentrer dans son étude. Qu’on se rassure donc, notre Levrault nous est rendu. Engourdies un instant par la mélancolie, sa sottise et sa vanité s’étaient réveillées plus vivaces, plus florissantes que jamais. Pour tenir tête aux grands airs de la noble dame, il avait redoublé de faste, et, comme disent les marins, mis toutes voiles dehors. Jamais ses écus n’avaient fait autant de tapage, jamais il n’avait déployé tant de luxe et de magnificence. Il se fût agi d’héberger la cour et la ville qu’il n’aurait fait ni plus ni mieux. Quand il allait chez la marquise, il allongeait son chemin de deux lieues pour pouvoir arriver en calèche attelée de quatre chevaux ; il se vengeait ainsi de ses créneaux, de ses tours et de ses portraits de famille.

Il faut bien le dire cependant, le grand manufacturier n’était pas heureux. Quelque chose manquait à son bonheur : c’était la perspective d’un gendre. Gaston ne remplaçait point Gaspard. M. Levrault n’ignorait pas qu’une alliance dans le parti légitimiste ne pouvait le conduire à rien. Vainement Laure l’entretenait du prochain retour d’Henri V, de l’honneur d’être reçu, en attendant, chez les duchesses du faubourg Saint-Germain : M. Levrault n’entendait pas de cette oreille. Il ne se souciait guère des salons du noble faubourg, et sentait bien qu’il n’avait chance de percer, de fleurir, qu’aux rayons vivifians du soleil de la bourgeoisie. D’ailleurs, l’attitude du jeune marquis n’avait rien d’encourageant. Si Gaston en voulait, lui aussi, aux millions du grand industriel, du moins il ne semblait pas disposé à se baisser pour les ramasser. Il laissait à sa mère le soin d’en diriger le siège, trop fier pour monter lui-même à l’assaut, mais bien résolu toutefois à entrer dans la place, aussitôt que les portes en seraient ouvertes. C’était un cœur loyal ; ce n’était pas une ame poétique et rêveuse, entièrement détachée des biens d’ici-bas. Quoique jeune encore