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en aveugles, assaillis par tant de maux physiques, qu’ont-ils à faire des souffrances intellectuelles, des joies morales, des douleurs imaginaires ? Ils ont dans la tête plus de rêves fantastiques de fortune, de gloire mondaine, que n’en peuvent rêver les poètes. Ils ont de l’enthousiasme pour la fortune, de l’amour pour les lettres de change bien payées à l’échéance ; ils acquièrent une gloire immense aux yeux de leurs semblables lorsqu’ils se sont courageusement dévoués à leurs intérêts privés. La poursuite de la richesse, du bonheur, du comfort, du luxe, les entraîne tous. Nous ne jugeons pas le fait, nous le constatons simplement.

Sans doute, les combats de l’industrie, les luttes de l’activité humaine ; cet amour du gain matériel, ont aussi leur poésie et leur beauté, nous ne le contestons pas ; mais ce n’est qu’après le combat, et lorsqu’on aura compté les morts, qu’il sera temps de chanter la victoire. Certainement ce repos, cette tranquillité de l’ame, ne nous sont pas destinés. Consolons-nous cependant, tout indique que le nuage qui nous couvre cache une lumière pleine d’éclat et de beauté. Lorsque le droit d’insurrection n’existera plus, lorsque la nécessité d’une foi commune et d’une loi fraternelle se fera sentir aux hommes, alors, je le crois, une ère spirituelle meilleure, plus pure et plus céleste, commencera, qui rendra à la vie humaine la fraîcheur et l’harmonie, et renouvellera les source de la pensée « O Dieu éternel, dit Jean-Paul, tu forceras l’aurore à briller ; mais aujourd’hui les oiseaux nocturnes volent sur l’aile du vent, les vivans rêvent et les morts se promènent. » Un jour viendra où toutes les angoisses modernes seront évanouies, et où l’homme reprendra sa manière de vivre véritable, l’usage de ses facultés divines, de la pensée et de l’amour !


ÉMILE MONTEGUT.