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des fantaisies de dilettante. Il s’amure à reproduire la manière des différents poètes. Il imite Novalis dans certaines pièces du recueil intitulé Voix de la Nuit, quelquefois Goethe, quelquefois Uhland ; il a même essayé de reproduire la naïveté des anciennes ballades allemandes. M. Longfellow est, disons-nous, un esprit très cultivé, trop cultivé. Il y a chez lui une habitude de citations, un luxe immodéré de science, un étalage de connaissances fatigant, et qui n’est pas à sa place très souvent. Ainsi, dans le roman intitulé Kavanagh, nous avouons ne pas comprendre l’opportunité de la lecture que le maître d’école fait à sa femme, et pourquoi il l’initie aux singuliers et complexes problèmes arithmétiques d’un certain poème indien. Nous en dirons autant du livre intitulé Hyperion. L’idée première du livre semble avoir été empruntée au Sternbald de Tieck M. Longfellow nous paraît avoir voulu créer un roman analogue. Le héros accomplit son pèlerinage artistique à travers l’Europe du XIXe siècle comme Sternbald au XVIe. Hyperion est un roman esthétique ; on n’agit pas, on ne vit pas dans ce livre ; on voyage, on cause, on disserte sur tout le monde, sur Goethe, Jean-Paul, Carlyle, Paul de Kock, Hoffmann, M. Edgar Quinet, George Sand, Victor Hugo, et sur beaucoup d’autres encore. M. Longfellow a encore fait un drame intitulé l’Etudiant espagnol, où il a essayé tant bien que mal de reproduire la forme shakspearienne, mais sans y réussir. Ce drame est la plus faible de ses productions.

Nous préférons de beaucoup les vers de M. Longfellow à sa prose. Evangéline, dont M. Philarète Chasles a donné dans cette Revue[1] une analyse complète, contient de jolis passages, mais qui ne ressortent pas assez vivement au milieu de la monotone, mélancolie du poème. Evangéline est néanmoins le meilleur ouvrage de M. Longfellow. Les descriptions et les paysages y sont plus nettement accusés que dans ces autres poésies ; quant aux vers, ils roulent lourdement comme « les flots tristes et brumeux de l’Atlantique, » et, grace à la forme qu’a adoptée le poète, ils rendent un son sourd et grave comme un sanglot. La fin d’Evangéline surtout est charmante. C’est dans ce poème que M. Longfellow a porté jusqu’où elles pouvaient s’élever les qualités délicates qui distinguent son esprit, la fraîcheur, la grace, le sentiment de la solitude et la piété du foyer domestique. La forte doctrine du devoir elle-même s’y affaiblit sous le sentiment naturel de la piété, et s’y fond dans les larmes.

M. Longfellow imite donc, et les poètes américains imitent également ; le reproche ne tombe pas sur lui seulement, il porte sur toute la littérature américaine. Les citoyens des États-Unis ont leurs affaires et s’inquiètent peu de poésie ; cependant ils sont passionnés d’instruction

  1. Voyez la livraison du 1er avril 1849.