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le partage de la pologne.

Certes, il serait injuste de leur attribuer le premier exemple d’un appel aux forces étrangères ; ce qu’ils firent alors, les diverses factions polonaises l’avaient fait cent fois avant eux. C’était devenu un usage, presque un droit. Depuis plus d’un siècle, à part la glorieuse exception du règne de Jean Sobieski, les étrangers entraient en Pologne, et n’y entraient qu’appelés. On se demande comment une nation si vaillante, si fière, si passionnément attachée à son pays qu’elle en porte l’image partout dans la prospérité et dans le malheur, dans le triomphe et dans l’exil ; comment une nation dont la foi en elle-même va souvent jusqu’à la superstition, comment enfin la brave nation polonaise a pu faire un usage presque constant, une sorte de principe politique de ce qui n’a été chez les autres peuples qu’un accident fatal et rare dont la patrie n’a jamais cessé de porter le deuil ? À cet égard, le souvenir de la gloire et des infortunes de la Pologne a pu seul la préserver d’un blâme sévère ; encore ce souvenir n’a-t-il pas toujours arrêté les reproches de la postérité. Au lieu de nous y associer, nous aimons mieux chercher les causes de cette étrange politique, et peut-être trouverons-nous quelques circonstances atténuantes au rigoureux verdict de l’histoire. Si la nation polonaise n’a jamais placé le point d’honneur national dans la nécessité de se suffire à elle-même, c’est qu’elle s’était toujours crue spécialement destinée au maintien de l’équilibre européen, non par ses propres efforts, non par son habileté politique, mais uniquement par sa situation géographique et par son épée. Écueil des Ottomans, la Pologne a toujours pensé que c’était assez de l’intérêt des gouvernemens de l’Europe pour ne pas permettre qu’aucun de ces gouvernemens attentât à son indépendance. Elle s’est reposée tranquillement sur ce qui lui semblait une garantie imprescriptible et ne s’est attribué d’autre devoir que de préserver la chrétienté des attaques de l’islamisme. Noble devoir en effet, glorieuse destination, et que la Pologne a dignement remplie, presque jusqu’au dernier moment de son existence ; mais illusion bien décevante, surtout depuis que la Turquie était parvenue à une décadence, dont, au surplus, on ne s’est aperçu partout que très tard, et à Varsovie pas plus tard qu’ailleurs. L’erreur de l’Europe occidentale sur les forces respectives de la Porte et de la Russie est la clé véritable des événemens qui amenèrent le partage de 1772.

La Pologne s’étant donc mise à l’avant-garde de l’Europe contre les Turcs, il n’est pas très extraordinaire qu’à charge de revanche elle ait cru pouvoir faire sans honte un appel aux armes étrangères. Elle retournait à l’Europe une lettre de crédit glorieusement acceptée jadis sous les murs de Vienne ; seulement, elle ne s’était pas aperçue qu’à la longue ce titre avait perdu de sa valeur et n’était plus qu’une lettre morte.