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qui l’aimait tendrement, se retira avec elle dans une belle habitation située au bord du Gange.

De tous les plaisirs tranquilles que lui offrait sa nouvelle résidence, sir Edward affectionnait surtout les promenades sur le fleuve. Comme beaucoup de riches Anglais établis au Bengale, il possédait un de ces bateaux décorés avec luxe qui portent à l’arrière des cabines spacieuses ; on les nomme bholia. Quand la brise du soir jetait quelque fraîcheur dans la campagne, il donnait l’ordre d’armer son bholia. En une minute, cuisiniers et maîtres d’hôtel transportaient à bord tout ce qui était nécessaire au service de cette maison flottante ; les préparatifs se faisaient avec cette ponctualité, cette exactitude qui rend la vie dans l’Inde si douce et si facile qu’on est tenté de commander pour le simple plaisir d’être obéi. Le plus souvent sir Edward remontait le Gange au-dessus de Calcutta, pour jouir de la vue des sites, qui deviennent plus variés et plus pittoresques à mesure qu’on s’avance dans les terres ; parfois aussi il se rapprochait de l’Océan, parce qu’il aimait à voir, du pont de son bholia paisiblement porté sur des eaux calmes, les vagues lointaines de la mer brisées par le courant du fleuve.

Un soir, il voguait vers l’embouchure du Gange ; la lune se levait, resplendissante et pure, sur un ciel encore embrasé des feux du soleil couchant. Sa jeune femme, accoudée sur le bord, laissait flotter sa noire chevelure à la brise qui commençait à souffler de la mer. Elle s’abandonnait à sa rêverie en regardant tourbillonner l’eau sous les avirons des rameurs.

— Que regardez-vous ainsi, chère Augusta ? lui dit sir Edward en s’approchant d’elle.

— Je regarde ces flots qui se rendent à l’Océan comme la vie coule vers l’éternité, répondit-elle avec calme.

— Et ne trouvez-vous pas qu’il y a dans cette vie, qu’on maudit si souvent, des jours, des instans au moins, où l’on se sent trop heureux pour rien désirer au-delà ?… Quelle nuit splendide ! Voyez ces figuiers immenses qui penchent vers les eaux leurs branches altérées, ces palmiers élancés qui découpent sur le firmament leur sombre panache. O Augusta ! nos froids climats n’ont pas de jours qui se puissent comparer aux nuits du tropique ; le ciel d’Europe n’a ni cette transparence ni cette profondeur. Les étoiles semblent s’épanouir comme autant de fleurs sur cette voûte sereine ; on dirait que ce sont elle qui répandent sur la terre cette fraîche senteur.

— Edward, reprit Augusta, vous me rappelez que j’ai oublié les belles fleurs que vous m’avez apportées ce soir.

— J’y ai songé pour vous, répliqua sir Edward, et il frappa dans ses mains. Un domestique hindou partit sur le pont, apportant un grand vase de Chine rempli de fleurs du plus magnifique éclat.