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d’improviser des courses, et le lieu paraissait trop bien choisi pour que son idée ne fût pas accueillie avec empressement.

Tous les officiers étaient parfaitement montés ; sir Edward avait aussi des chevaux excellens, mais un surtout de race arabe. Il le tenait d’un riche musulman, qui ne l’aurait cédé à aucun prix, s’il n’eût, été marqué au front d’une lune blanche, signe que les Orientaux regardent comme un mauvais présage. Pendant la route, deux saïs (palefreniers persans) le conduisaient par la bride en marchant à pied ; sir Edward avait eu des peines infinie à le dompter, à l’habituer à voir en face un habit rouge, et surtout à se laisser monter par un cavalier qui ne portât ni larges caleçons, ni turban. Cet animal précieux faisait la gloire et l’orgueil de sir Edward, qui, comptant sur une victoire assurée, attendait avec impatience le moment d’entrer en lice. On était convenu de laisser aux chevaux quelques jours pour se reposer, ce qui n’empêchait pas les jouteurs de se préparer à la lutte par des courses d’essai. Plus l’instant décisif approchait, plus il se mêlait d’animation à ces exercices préliminaires sir Edward fier de la supériorité de son cheval, tenait tête à tous les parieurs. Enfin arriva le jour fixé ; les tentes, rangées à l’extrémité de la plaine, rappelaient les pavillons élégans que l’on élève en Europe pour de pareilles fêtes. Les drapeaux flottaient au vent ; des cipayes, armés de lances et placés à intervalles égaux, marquaient la ligne à suivre. Une pagode en ruine, à demi cachée par des figuiers, formait le point extrême et comme la borne de l’hippodrome ; c’était là qu’il fallait tourner.

Au signal donné, tous les coursiers se précipitèrent avec impétuosité dans l’arène. Sir Edward, qui, au premier tour, avait déjà pris la tête, sentit son cheval tressaillir en passant près de la pagode ; mais la rapidité de la course fit qu’il ne put distinguer ce qui effrayait l’animal. Au second tour, il eut soin de plonger d’avance ses regards au fond du vieux temple ; il ne vit rien qu’une statue noire, à huit bras ; cependant l’animal broncha légèrement. Au dernier tour, les cavaliers laissés en arrière redoublaient d’efforts ; pour le vainqueur, il ne s’agissait plus d’arriver le premier, c’était un point gagné, mais de toucher le but bien avant ses rivaux. Ce double succès, sir Edward le regardait déjà comme assuré ; pour la troisième fois, il rangeait la pagode, quand un fragment de la statue, lancé avec vigueur, vint frapper son cheval droit au milieu du front. La bête se cabra tout d’un coup, retomba à faux sur ses pieds de devant, et roula dans la poussière.

La victoire était perdue ; sir Edward, hors de lui, se releva précipitamment et courut à la pagode. Il n’y trouva rien que la statue immobile qui semblait le regarder avec surprise ; en l’examinant d’un œil attentif, il remarqua qu’il manquait à l’idole la moitié d’une main. Dans le premier moment de colère, il eut envie de lui faire sauter la