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les yeux à l’évidence, ils comptèrent sur les secours réunis de l’Autriche et de la France pour détrôner Stanislas-Auguste. Quant au partage, ils ne s’arrêtèrent pas un seul instant à cette idée, qui leur semblait folle, chimérique, impossible, et lorsqu’avec des égards nobles et touchans l’ambassadeur de France leur en eut appris l’accomplissement définitif, ils refusèrent absolument d’y ajouter foi. À Paris, l’aveuglement des réfugiés avait eu un caractère encore plus marqué. La veille du partage, Jean-Jacques Rousseau, consulté par le comte Wielhorski sur une constitution future de la Pologne, lui avait remis cet étrange écrit, qui causerait à quiconque le relit aujourd’hui une surprise extrême ou plutôt une véritable stupéfaction, si on ne savait par expérience tout ce qu’on peut faire lire et entendre à des contemporains. Rousseau conseillait aux Polonais d’entretenir leur antique anarchie, d’exercer une surveillance jalouse sur le pouvoir, royal, d’éviter soigneusement que la couronne devint jamais héréditaire, et enfin il leur proposait pour souverain remède des fêtes publiques dans le goût de celles qu’on a vues en France il y a soixante ans, et que nous avons revues nous-mêmes, avec l’enthousiasme que chacun sait. L’homme de la nature leur indiqua encore un autre moyen, c’était de faire monter le roi de Pologne sur l’échafaud[1].

À la nouvelle du partage, la Pologne jeta un cri de surprise et de douleur, mais elle ne protesta point par les armes. Quant à Stanislas-Auguste, dans sa monomanie de royauté, il se résigna à tout. « Je resterai, dit-il, dût mon royaume ne pas être plus grand que mon chapeau. » Les imprécations des Polonais s’adressaient surtout à la cour de Vienne. Les Russes et les Prussiens étaient des ennemis, connus pour tels ; mais Vienne leur avait promis son appui, Vienne, disaient-ils, les avait trahis : ils comptaient sur cette Autriche dont ils avaient jadis brisé les fers, et voilà comme elle les traite ! On se récriait aussi très amèrement sur la France ; cependant on la plaignait plus encore qu’on ne l’accusait. Elle était couverte par le nom de Choiseul, et les malédictions n’avaient que son successeur pour objet. On n’ignorait pas non plus que la Pologne avait été constamment défendue auprès de Louis XV par son conseil secret, auquel ce dénoûment donnait en effet gain de cause. Les avis généreux ne coûtent rien aux agens irresponsables ; il leur est facile de jouer le beau rôle. Ici l’occasion était trop bonne pour la laisser échapper.

On a toujours éprouvé quelque difficulté à concilier la conduite de Marie-Thérèse avec son caractère. Elle-même sembla partager l’étonnement

  1. « Gardez-vous de prendre envers le roi que ces cruels hôtes ont voulu vous donner aucun parti mitigé. Il faut, ou lui faire couper la tête, comme il l’a mérité, ou, sans avoir égard à sa première élection, qui est de toute nullité, l’élire de nouveau. » Oeuvres de Rousseau (édition Dalibon, 1824), tome VI, page 361.