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V

Ainsi tout était convenu entre les cours de Vienne et de Berlin. Si le démembrement de la Pologne n’avait dépendu que de ces deux puissances, il était fait ; mais il restait encore à obtenir l’adhésion la plus importante, celle du cabinet de Pétersbourg, et le lecteur se rappelle que, pour ne pas remettre cette adhésion aux hasards et aux longueur d’une négociation ordinaire, Frédéric avait employé le prince Henri, son frère, auprès de Catherine II.

Ce voyage avait encore un autre objet, moins immédiat, mais aussi précieux pour Frédéric. Le prince Henri n’était pas seulement chargé de séduire l’esprit de l’impératrice ; il était destiné à tromper l’opinion publique. Après avoir porté pendant tout son règne le projet du partage de la Pologne, Frédéric songea à en secouer le fardeau dès qu’il fut sûr de réaliser la pensée de toute sa vie. Il feignit de ne l’avoir jamais conçue, et prit le parti d’en repousser la responsabilité. Pour accomplir ce nouveau dessein, ce fut son frère qu’il choisit. Lui-même a pris soin d’exposer ce système ; c’est sur ses propres paroles que nous pouvons le juger. Le tissu en est captieux, il serait aisé de se laisser prendre à cette trame ; mais, grace aux inadvertances et aux contradictions inséparables de l’homme, les assertions mêmes de Frédéric, quoique très calculées, peuvent mettre sur la trace de la vérité qu’il a voulu céler avec un Soin minutieux et jaloux.

Selon le récit du royal historien, l’Autriche, irritée des prétentions de la Russie en Orient, était sur le point de lui déclarer la guerre ; les intentions hostiles de la cour de Vienne n’étaient combattues que par la Prusse, et ce fut pour calmer l’irritation de Catherine II et pour prévenir une conflagration générale, que Frédéric, si enclin à la paix (comme personne ne l’ignore), avait envoyé à Pétersbourg un prince de son sang, le premier homme de son royaume après lui. Bien loin de proposer le partage de la Pologne, le prince Henri n’avait pas même prononcé le nom de la république, lorsqu’on apprit tout à coup à Pétersbourg que les Autrichiens venaient de s’emparer du district de Zips, enclavé dans la Hongrie, mais appartenant à la Pologne.

« Une démarche aussi hardie, ajoute Frédéric, étonna la cour de Russie, et ce fut ce qui achemina le plus le traité de partage qui se fit, dans la suite entre les trois puissances. La principale raison était celle d’éviter une guerre générale près d’éclore ; il fallait, outre cela, entretenir la balance des pouvoirs entre de si proches voisins, et, comme la cour de Vienne donnait suffisamment à connaître qu’elle voulait profiter des troubles présens pour s’agrandir, le roi ne pouvait se dispenser de suivre son exemple. L’impératrice de Russie, irritée de ce que d’autres troupes que les siennes osaient faire la