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Prusse ; ils se rencontrèrent au camp de Neustadt, en Moravie ; le jeune César s’y effaça comme Télémaque devant Mentor, abandonna à Kaunitz toute la partie politique., affectant de se réserver exclusivement le côté militaire. Frédéric y reprit avec une application nouvelle son système de séduction et de déférence ; mais, soit mécontentement secret de ce rôle subordonné, soit impossibilité de vaincre ses habitudes de blâme et d’ironie, soit que l’enthousiasme juvénile de Joseph II, dégagé des premiers effets de la surprise, eût eu le temps de se refroidir dans l’intervalle, le roi frappa plus fort que juste et ne toucha pas le but. Ses respects semblèrent forcés, presque insultans. En tenant l’étrier de l’empereur lorsqu’il montait à cheval, Frédéric semblait indiquer par cette étiquette singulière bien moins le point de départ des marquis de Brandebourg que l’intervalle immense qui les en éloignait à jamais. Il fit avec trop d’emphase l’éloge des généraux qu’il avait battus ; Joseph se sentit plus gêné que flatté. Frédéric perdit de son prestige à ses yeux ; sa conversation devint trop peu mesurée, trop abondante. Quoique passablement philosophe, Joseph fut surpris et choqué de la légèreté de son royal interlocuteur sur des sujets sacrés. Il en avait été averti sans doute ; mais peut-être avait-il compté au fond de l’ame sur une réserve commandée par la majesté impériale. Dans cette entrevue, les défauts des deux alliés furent trop long-temps en présence, et l’éloignement qu’ils ressentirent plus tard l’un pour l’autre commença à poindre dès-lors. C’est directement avec le prince de Kaunitz que traita le roi de Prusse. Dans une première conférence, ces deux hommes, qui s’étaient fait tant de mal, mais qui ne s’étaient jamais vu, s’observèrent sans se laisser entamer. Chacun prétendit garder ses avantages, laissant à son interlocuteur le soin de proposer des mesures qui leur causaient à tous deux un embarras secret. Ils commencèrent par des banalités diplomatiques : amour de la paix, maintien de l’équilibre européen, modération réciproque. Pour se mettre mutuellement à plus haut prix, chacun fit valoir ses alliances : celui-ci la Francen l’autre la Russie. Ensuite, on fit bon marché de l’une et de l’autre, et dès ce premier entretien il fut décidé que l’ambition de Catherine II devait être arrêtée, surtout qu’il était nécessaire de se défier de la cour de Versailles. On se promit de l’amuser, de l’endormir, de ne lui faire savoir rien d’important, et de se communiquer fraternellement tout ce qui pourrait venir de cette source suspecte. Ces préliminaires consentis, il n’était pas nécessaire de s’entendre sur le reste. Au surplus, il fut question de tout, excepté du véritable sujet de la conférence. Frédéric fit comme Agamemnon, il ne parla point de la victime. Le nom de la Pologne ne fut prononcé ni par lui ni par Kaunitz. Tout à coup un courrier arrive de Constantinople ; il apporte la nouvelle de la destruction de la flotte ottomane par la flotte russe dans