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Malgré sa propre conviction, loyalement manifestée à M. de Choiseul, mais ardemment combattue par ce ministre, M. de Vergennes s’efforçait en vain d’émouvoir le divan. Désespéré par l’apathie des Turcs, l’ambassadeur succombait sous la lutte et demandait grace ; mais Choiseul, poussé à bout, agitait, ou, si ce mot nécessaire nous est permis tracassait l’Orient. Ses émissaires étaient partout : Tott en Crimée, Taulès en Pologne ; des officiers soudoyés par lui défendaient Cracovie contre les Russes. Il engagea les Polonais à s’adresser aux Turcs ; l’évêque de Kaminiek écrivit au vizir pour implorer le grand-seigneur en faveur des libertés républicaines. Étrange relation d’un prélat catholique avec un sectateur de Mahomet, source intarissable de plaisanteries pour les philosophes, qui ne cessaient de représenter d’une manière, burlesque l’alliance du nonce et du mufti ! Il faut convenir que la Pologne était bien changée depuis le siége de Vienne. De son côté, la confédération envoya un message à la Sublime Porte. Le style en était oriental par l’emphase, mais non par la dignité. Le vizir répondit à l’évêque avec bonté, mais il fit un accueil glacé aux députés de la confédération. Découragé par tous ces obstacles, arrêté peut-être par Louis XV lui-même et par le parti du duc d’Aiguillon et de Mme Du Barry, qui déjà minait son crédit, M. de Choiseul voulut revenir sur ses pas. Il s’effraya de sa propre audace, et, au moment de voir ses plans réalisés peut-être par la démarche des Polonais à Constantinople, il recula devant le tableau des hordes turques se jetant sur une portion de l’Europe chrétienne, à l’instigation du ministre du roi très chrétien. Il sentit toutes les objections que pouvait soulever un si étrange résultat, et recommanda instamment à M. de Vergennes de concilier une déclaration de guerre avec le respect et l’inviolabilité du territoire polonais, mettant le comble, par cet ordre contradictoire, à l’embarras de l’ambassadeur.

Choiseul s’était enfin aperçu qu’il faisait fausse route ; mais il n’était plus temps de revenir sur ses pas. Le hasard amena naturellement ce que n’avaient pu produire deux années de négociations longues et infructueuses. Dans une de ces escarmouches fréquentes sur les limites de la Turquie et de la Pologne, une troupe de Cosaques poursuivit les confédérés au-delà de la frontière jusqu’à une petite ville appelée Doubassar, située au-delà de Balta, près de Bender ; ils y massacrèrent même quelques musulmans dans la chaleur du combat et de la poursuite. À la nouvelle de l’affaire de Balta, un cri de vengeance s’éleva sur le Bosphore ; l’irritation fut générale et l’enthousiasme devint populaire parmi les vrais croyans : on voyait des enfans traîner de gros mousquets par les rues de Stamboul. M. de Vergennes crut enfin toucher au terme de ses désirs ; il se hâta de s’adresser au divan dans une note dont la véhémence contre un état avec lequel la