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partagés jusqu’alors avec le reste de la noblesse, car il ne s’agissait dans tout cela que de la noblesse : on les déclara désormais incapables de posséder des starosties, et, pour justifier ce fanatisme encore plus impolitique qu’injuste, on argumenta sur la lettre de vieux diplômes, tous obscurs, tous contradictoires, tous susceptibles de révision, une diète pouvant faire rapporter de droit les décisions des diètes précédentes. Une telle conduite répugnait surtout au sentiment général du monde civilisé ; les conséquences en étaient faciles à prévoir.

Frédéric, qui guettait tous les mouvemens de la Pologne, comprit qu’il était nécessaire d’agir promptement pour la rendre à son antique anarchie et se hâta d’avertir Catherine : c’est lui-même qui nous l’apprend[1], mais, quoique l’abolition du liberum veto lui semblât le vrai danger du moment, il conseilla de ne pas s’y opposer immédiatement et de commencer l’attaque en exigeant d’un commun accord une satisfaction immédiate et complète aux dissidens. Pour donner l’exemple, il se fit présenter une supplique par les principaux protestans de la Prusse polonaise, et, selon les paroles du royal auteur, la cour de Pétersbourg entra dans toutes ses vues.

Cette cour était alors représentée à Varsovie par le prince Repnin, brave militaire, passionnément dévoué à sa souveraine et à son pays, mais violent, audacieux, toujours porté à la menace et à l’injure même cruel par emportement ; caractère singulier, mêlé de bien et de mal, que Rulhière a développé avec une verve entraînante. Malgré ses préventions contre Repnin, poussées jusqu’à la haine la plus ardente, Rulhière n’a pu se dissimuler que ce barbare, ce Tartare, comme il l’appelle, s’autorisait non-seulement des armes étrangères mais d’un parti indigène. Par un mélange inconcevable de séduction et d’autorité il réunissait autour de lui l’élite de la jeunesse polonaise, qui le défendait auprès de l’impératrice contre les plaintes que les vieux (c’est ainsi qu’on désignait les Czartoriski) avaient adressées à Pétersbourg. Bien plus, Repnin était l’homme à la mode dans la société de Varsovie. Au milieu des fêtes, des bals, des plaisirs sans cesse renaissans, car jamais Varsovie ne fut plus brillant, plus animé, les beautés les plus célèbres de la Pologne acceptaient les hommages de Repnin, et c’est précisément dans les rangs ennemis qu’il conquit ses succès les plus flatteurs.

C’est que, dans la réalité, il y avait là non une guerre étrangère, mais une guerre civile. Deux ans auparavant, les Czartoriski et Stanislas-Auguste avaient demandé l’appui des Russes ; maintenant il n’y avait de changé que le parti qui invoquait leur secours. Ils n’étaient plus appelés par les Czartoriski, mais par leurs rivaux. En voulant réformer

  1. Oeuvres de Frédéric-le-Grand, tome VI, p. 14. Leg.