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que Frédéric, dans ses Mémoires, les a artificieusement négligés, et n’a pas cru devoir nous en donner la connaissance la plus légère.

Il semblait que les desseins de Pierre III dussent disparaître avec lui. Toute l’Europe s’y attendait, et Frédéric plus que personne. À l’étonnement général, il n’en fut pas ainsi. Dans la marche imprimée à son gouvernement, dans le choix de ses alliances, Pierre III avait été guidé par un sentiment juste et droit. Naturellement humain et généreux, il avait opéré des réformes utiles dans l’intérieur de la Russie. Son intimité avec la Prusse n’eut d’autre tort que l’exagération : et l’éclat. En général ; il ne lui avait guère manqué que le sang-froid, le secret et la mesure ; il n’avait méconnu aucun des intérêts essentiels de son empire. De sa politique, il fallait écarter la forme et conserver le fond. Catherine n’hésita pas à le faire Au lieu de reprendre les hostilités contre Frédéric ; elle confirma la paix conclue avec le prince et l’imposa à ses alliés malgré leurs plaintes et leurs reproches. Elle les laissa crier à la défection et conclut une paix nécessaire à ses peuples, fatigués d’une lutte stérile.

À peine arrivée au pouvoir suprême, Catherine il se plaça habilement sur la ligne légère imperceptible, mais mathématiquement exacte, qui sépare la timidité et la prudence, la résolution de l’audace, le courage de la témérité. Elle s’y maintint toute sa vie. Rulhière, esprit ingénieux, mais peu pratique, d’ailleurs ennemi déclaré de Catherine, a bien mal saisi ce caractère singulier et neuf, lorsqu’il a prétendu que, les premiers temps, l’impératrice s’était montée incertaine dans


    ambitieux des monarques russe et prussien. Je ne doute pas qu’il n’entre dans leurs projets futurs de démembrer cette république à leur profit. » (Breteuil à Praslin, Saint-Pétersbourg, 18 juin 1762.)
    « Suivant toutes notions, les deux souverains (Pierre et Frédéric) n’ont point oublié dans leur retraite l’événement de la vacance du trône de Pologne, et ils se sont engagés à rassembler alors au plus tôt chacun vingt mille hommes pour déterminer l’élection du nouveau roi. L’on m’a dit qu’ils voulaient le prendre parmi les Piast mais je n’en crois rien, quoiqu’à bien des égards cet arrangement pût leur être avantageux et faciliter peut-être leurs vues d’agrandissement aux dépens de la république. Au reste, cette idée vraie ou fausse, que je ne doute pas que l’on ne fasse connaître aux Polonais, pourrait leur déplaire. » (Breteuil à Praslin, Varsovie, 14 juillet 1762.)
    « Nous apprenons, monsieur, que les vues du roi de Prusse et de son nouvel allié (Pierre III) ne se bornent pas seulement à forcer la cour de Vienne à la paix mais qu’elles vont jusqu’à projeter un démembrement considérable à la Pologne. Les fréquens courriers que vous avez vu expédier à Constantinople pourraient bien avoir quelque rapport à ce plan, puisque ce serait détourner les yeux de la cour ottomane de dessus la Pologne que d’engager le sultan à porter ses armes contre la Hongrie. Je compte que vous n’aurez rien laissé ignorer à M. de Vergennes de ce qui sera parvenu à votre connaissance sur cet objet, et que vous aurez recommandé à votre secrétaire de suivre fidèlement cette correspondance après votre départ. Cette partie devient bien intéressante, et je sens que nous ne saurions y veiller avec trop de vigilance. : » (Praslin à Breteuil, Versailles, 28 juin 1762.)