Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commencement du bonheur d’un peuple ne se puisse écrire en lettres de sang. Je crains qu’on ne soit dans une mauvaise voie ; je prie Dieu qu’aucune goutte de mon sang ne se lève en jugement contre eux… J’espère en Dieu que nous nous réunirons pour vivre éternellement au ciel et recevoir l’accomplissement du bonheur là où les larmes seront chassées de nos yeux et les tristes pensées de notre cœur. Et ainsi que Dieu bénisse ce royaume, et que Jésus ait mon ame à merci ! » Alors il fit sa toilette de décollé et dit : « Je remercie Dieu de n’avoir point peur de la mort ; je n’ai jamais ôté plus gaiement mon pourpoint pour aller au lit. » Le bourreau lui demanda pardon : « Je vous pardonne, répondit-il, et à tout le monde. » Il s’agenouilla devant le billot entre son chapelain, et l’archevêque d’Armagh, et pria un peu de temps. Puis il prononça quelques mots doucement, les mains élevées et pressées entre celles de son chapelain En se baissant vers le billot, il dit à l’exécuteur qu’il essaierait d’abord la place où poser sa tête avant de lui donner le signal. Quand il eut pris ses aises sur cet oreiller, il fit de la main le signe convenu. Sa tête fut détachée d’un seul coup de hache. Il n’y a pas eu de plus superbe mort parmi les modernes.

« Ainsi tomba, écrivait son ennemi Whitelocke, ce noble comte qui, pour les talens naturels, pour l’expérience acquise dans les plus grandes affaires, pour la sagesse, la fidélité et la vaillance d’esprit, a laissé peu d’égaux. » En apprenant cette mort, le grand cardinal de Richelieu dit : « Les Anglais sont si fous, qu’ils ne veulent pas laisser la plus sage tête d’entre eux sur ses épaules. » Quand Pym vit le roi sanctionner le bill d’attainder, il s’était écrié : « Quoi ! il nous donne la tête de Strafford ? Alors il ne nous refusera plus rien. » Il dit encore : « Maintenant le pouvoir de la préservation future est en nous. » Quelques mois après, en effet, Charles Ier avait été tant abaissé, la puissance du parlement s’était tant agrandie, que le peuple appelait Pym le roi Pym. Quant à Charles, le souvenir de la mort de Strafford fut son éternel remords. Le 14 janvier 1645, il écrivait à sa femme Henriette-Marie : « Rien ne saurait être plus évident, c’est le sang innocent de Strafford qui a été une des grandes causes des justes jugemens de Dieu sur cette nation par une furieuse guerre civile, les deux partis étant également punis, comme ayant été également coupables. » Il demandait pardon à Dieu de sa faiblesse homicide, ce sont ses propres paroles dans l’Ikon Basilikon : « Ô Dieu d’infinie miséricorde ! pardonne cet acte de complicité coupable dont l’aggravation pèse sur moi plus lourde que sur personne, puisque je n’avais pas contre lui la moindre tentation d’envie ou de malice, et que, par ma place, j’aurais dû au moins le sauver en refusant mon consentement à sa destruction. Ô Seigneur ! Je reconnais ma faute, et mon péché est toujours devant moi. » La destinée du magnanime Strafford n’eût point été complète, s’il y eût manqué un trait