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Homère et que recouvre une peau de panthère tombant sur les côtés du siége pour en dissimuler les vides, est surprise par l’aurore et par le sommeil, au moment où s’achève son travail de nuit. Les dernières laines de la toile défaite sont enroulées sur la quenouille que la main retient à peine ; son corps s’affaisse sur le dossier du fauteuil ; sa belle tête aux cheveux relevés soutenus d’étroites bandelettes retombe sur son épaule. Un collier descend du cou sur le sein dont les indiscrétions du sommeil, laissent deviner les contours, et les bras demi-nus se dessinent dans leur abandon avec une grace enchanteresse. Le vêtement est la tunique de lin, qu’accompagne un manteau ramené sur les genoux et rejeté sur le dossier du siége. Les voiles accusent autant la beauté des formes que pouvait le permettre le sujet. C’est le sommeil sans cesser d’être la chaste vigilance d’une épouse : les dieux du vieil Olympe, qui ont tant osé, auraient respecté ce sommeil. La tête est d’une noblesse et d’une sévérité de caractère que tempère la grace. La morbidesse des chairs, la délicatesse des mains et des pieds, sont irréprochables. Les draperies sont jetées avec aisance et souplesse, et il l n’y a point jusqu’à la tunique de fin tissu de lin, gauffré suivant l’usage des femmes de la Grèce, qui, touchée avec justesse et se soulevant à l’œil sous la douce respiration de Pénélope, n’ajoute encore aux illusions du cisceau.

Ce n’est point ici la sculpture de Canova, vive, mouvementée, ardente, cherchant l’effet, même dans la représentation du sommeil ; c’est une statuaire grave et calme, mais non sans émotion, comme le marbre froid de Thorwaldsen. C’est, en résumé, un ouvrage dans le goût sobre, contenu, élevé, de l’antique, une inspiration de ces belles statues qui remplissent et animent les places et les musées de Rome et y forment comme un autre peuple. Enfin, sans être un chef-d’œuvre d’originalité qui accuse un génie frappé au coin de Michel-Ange, la Pénélope est un chef-d’œuvre de goût et de grace, de tact et d’exquise convenance, de style fin et tempéré.

M. Cavelier avait exécuté aussi à Rome le modèle plus grand que nature d’une statue de la Vérité rejetant d’une main le voile qui la couvre, et de l’autre levant son miroir. Le temps a manqué à l’artiste pour reprendre et achever sur le marbre le travail du praticien. À l’exposition des envois de Rome, on n’a donc vu cette statue qu’à titre de mise au point ; mais s’il n’y avait pas là ce dernier souffle d’ame et de vie que donne le maître, on pouvait apprécier la grandeur des lignes, la richesse de l’ensemble. Après quelques mois de travail, l’artiste aura pu alléger la figure, semer les finesses sur le marbre dégrossi, et une bonne statue de plus prendra rang à la prochaine exposition.

M. Cavelier s’attaque d’ailleurs, avec un singulier bonheur, à une foule de sujets d’ordres différens. On a de lui des poignées de dagues bien inventées, exécutées avec esprit et finesse. C’est lui qui a sculpté le modèle de l’épée d’honneur offerte au général Cavaignac. Il a fait aussi couler en bronze une charmante statue, moins grande que nature, d’un coureur antique qui franchit la borne et enlève le prix. Le travail de cette figure atteste une sévère étude de la nature et un goût décidé pour le sentiment délicat des anciens allié à la vivacité des modernes. Ce coureur me rappelle malgré moi les gracieuses statues d”Hippomène et Atalante, et d’Apollon et Daphné, enlevées de Versailles, et qui figuraient si bien dans les hémicycles des bosquets des Tuileries où les avait placées le directoire. Depuis dix-huit ans, ces statues avaient été enlevées