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REVUE DES DEUX MONDES.

Que s’était-il passé à la Trélade après le départ de maître Jolibois ? Tel était le mystère que Gaspard s’efforçait en vain de pénétrer. Sa raison s’y perdait. Il ne pouvait supposer que Jolibois, qui jusque-là lui avait servi de compère, eût voulu rire et s’amuser à ses dépens. Ce qui semblait très clair au vicomte, c’est qu’il ne devait plus songer à mettre la main sur les millions de M. Levrault ; pour le coup, c’était partie perdue, sans espoir de revanche. Gaspard n’était pas homme à s’exhaler en désirs impuissans, en stériles regrets. Il se consolait en songeant qu’il allait retourner à Paris, grâce aux cent écus que Jolibois s’était naïvement laissé gagner la veille. Paris ! ce n’était qu’à Paris que le vicomte respirait à l’aise ; il tressaillait à ce nom comme un exilé au nom de la patrie. À Paris donc ! La province n’était pas digne de posséder un esprit si charmant. Gaspard se consolait aussi en se représentant la grimace que ferait Jolibois lorsqu’il apprendrait le dénoûment de l’aventure ; dans la pensée que ce créancier insolent et goguenard se trouvait être le dindon de la farce, il y avait quelque chose qui souriait au vicomte et ne déplaisait pas à sa bonne ame.

Comme il approchait du château de ses pères, Gaspard aperçut trois personnages de mine équivoque, tranquillement assis sur le pas de sa porte qu’ils semblaient prendre pour celle d’un cabaret. Une carriole d’osier, attelée d’un petit cheval bas-breton, était arrêtée au pied de la colline où s’élevaient les ruines du manoir. Gaspard s’avança sans défiance, tout en se demandant qui pouvaient être ces trois étranges visiteurs. Tous trois s’étaient levés en le voyant paraître.

— C’est à monsieur le vicomte Gaspard de Montflanquin que j’ai l’honneur de m’adresser ? demanda le moins sale et le plus laid des trois.

— À lui-même. Que me voulez-vous ?

— La lettre que voici mettra peut-être monsieur le vicomte au courant de la petite affaire qui m’amène.

Gaspard brisa le cachet et lut :

« Monsieur le vicomte,

« Je ne veux pas quitter Clisson et retourner à Nantes sans vous offrir un nouveau témoignage de l’intérêt que vous m’inspirez. La nuit que je viens de passer sous le toit de vos pères n’a pas été seulement agitée par les émotions du jeu. Les bruits sinistres qui ne m’ont pas permis de fermer l’œil m’ont fait trembler en même temps pour votre sécurité. Je ne dois pas souffrir que le dernier héritier d’une famille illustre reste exposé à voir un beau matin les murs de son château s’écrouler sur sa tête. Agréez donc, monsieur le vicomte, que je mette à votre disposition un logement où vous puissiez dormir en paix, quand souffleront les vents de l’équinoxe.