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le partage de la pologne.

y eut quelque chose d’imprévu, ce fut le maintien de l’intégralité d’un état si souvent compromis et menacé.

En 1657, Charles-Gustave, roi de Suède, après avoir conquis la Pologne en avait arrêté et signé le démembrement, non pas avec une des grandes cours de l’Europe, avec quelque colosse de puissance et de fortune, mais avec un petit dynaste du Danube, un chef de parti sans, un voevode, George Rácoczy, prétendu prince de Transylvanie. À la tête d’une troupe de Bulgares, ce Rácoczy osa réclamer sa part de la république, qui alors dut son salut moins au sabre de sa pospolite qu’à la défection de l’électeur de Brandebourg. L’aïeul du prince qui devait déchirer un jour la Pologne l’arracha alors au Transylvain et au Suédois. En 1667, une main plus noble encore, la main de Louis XIV, suspendit ses destinées. Par le traité de Vilna, les Russies rouge et blanche, ainsi qu’une partie de l’Ukraine, avaient été cédées au czar Alexis, le père et le précurseur de Pierre-le-Grand, lorsque Louis XIV fit avertir la cour de Varsovie que le général suédois Slippenbach était chargé par son souverain de proposer le partage du territoire polonais à l’empereur d’Allemagne et au margrave de Brandebourg. C’est dans ce montent solennel que Jean-Casimir Wasa, religieux de la société de Jésus, devenu roi de Pologne, prononça la prophétie célèbre qui annonçait à la république qu’elle courait au démembrement par l’anarchie. La Pologne négligea cet avis. Dans l’expérience d’un politique, elle ne voulut voir que la pusillanimité d’un moine. Un siècle plus tard, un autre de ses rois lui prédit le même sort. Dès l’année 1749, Stanislas Leczinski s’exprimait ainsi : « Notre tour viendra, sans doute, où nous serons la proie de quelque fameux conquérant ; peut-être même les puissances voisines s’accorderont-elles à se partager nos états. Il est vrai qu’elles sont les mêmes que nos pères ont connues et qu’ils n’ont jamais appréhendées ; mais ne savons-nous pas que tout est changé dans les nations ? Elles ont maintenant… une plus grande ambition… augmentée avec les moyens de la satisfaire. Sommes-nous en état de leur résister[1] ? »

Le reste de l’Europe n’avait pas attendu l’imminence du péril pour le pressentir et pour le signaler. La pensée du partage était devenue générale. Non-seulement, depuis plus d’un siècle, les chancelleries de toutes les cours renfermaient dans leurs archives un grand nombre de mémoires, de déductions, de raisonnemens destinés à prédire, à établir, à démontrer l’imminence du démembrement de la Pologne ; non-seulement les correspondances diplomatiques du xviie au xviiie siècle sont pleines de cette hypothèse ; elle était devenue familière aux esprits les moins politiques, à La Fontaine lui-même, et assurément c’est

  1. Œuvres du philosophe bienfaisant, tome II, p. LXX.