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le partage de la pologne.

dans la vie des peuples des périodes néfastes, des années climatériques où la nation s’efface et disparaît, où l’époque absorbe le pays. » N’admettons pas ces distinctions, ce serait trop de désintéressement et de hardiesse. Sans doute, Iéna devint la rançon de Rosbach ; mais est-on toujours bien sûr de prendre, de pareilles revanches ? Elles sont rares. Tout en flétrissant les noms coupables, n’étendons jamais cette flétrissure à l’époque qu’ils ont compromise ou souillée. Au surplus, si nos pères sont condamnés pour laisser partager la Pologne. Pourquoi épargne-t-on ce reproche à l’Angleterre ? N’a-t-elle pas encouru la même responsabilité ? Sur quoi peut-elle se fonder pour y échapper légitimement ? Et pourtant quel historien, quel publiciste anglais a jamais déclaré que l’Angleterre s’était déshonorée l’an de grace 1772 ? Quels orateurs du parlement britannique ont porté à la tribune pendant dix-huit ans une accusation si injurieuse pour leurs ancêtres ? En ont-ils fait un lieu commun parlementaire dont le moindre inconvénient est de nuire à ceux mêmes qu’on veut protéger, en les leurrant d’espérances que l’on sait irréalisables ? Encore si tout cela s’était borné à caresser sans péril des illusions sans conséquence, mais en a-t-il été ainsi ? Malheureux Polonais ! de quels rêves ne les a-t-on pas bercés ! Où ne les a-t-on pas conduits par ces dangereuses complaisances, par ce vain étalage de fastueuses et impuissantes sympathies ! Laissons ce triste côté de notre histoire contemporaine ; il a déjà été traité ici même tout récemment. Quoique placé à un point de vue différent, nous constaterons avec l’auteur que, depuis la révolution de février, la froideur a succédé aux chaudes sympathies[1]. L’explication qu’il en donne nous semble fondée sur les faits ; il est inutile de la répéter. Bornons-nous à affirmer qu’entre une cause étrangère, quelle qu’elle soit, et la cause de l’ordre, qui n’est étrangère à personne, la France et l’Europe n’hésiteront jamais.

Ce revirement d’opinion si remarquable en France l’a été encore plus en Allemagne. Que n’avait-on pas dit des sentimens de l’Allemagne pour la Pologne ! « Entre les Polonais et les Allemands, il y a fraternité, solidarité, vive sympathie. Les Allemands brûlent du désir de reconstituer la nationalité polonaise. » Voilà ce qu’on avait répété pendant dix-huit ans, et les premiers jours de la révolution de février semblaient avoir confirmé ces assertions. À Berlin, les portes des prisons s’étaient ouvertes aux Polonais captifs : d’accusés, ils étaient devenus triomphateurs ; enlevés par mille bras, ils avaient été portés jusque sous les fenêtres de la demeure royale ; mais bientôt quel changement ! les cris de rage succèdent aux acclamations, les mains qui se pressaient dans une vive étreinte s’arment pour se déchirer, le sang

  1. Revue des Deux Mondes, no du 15 août dernier.