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part, il ne pouvait continuer à vivre qu’en subjuguant ses voisins, ce qui lui était matériellement impossible, de l’autre, les puissances limitrophes ou du moins l’une d’entre elles, la plus nouvelle et la moins étendue des trois, ne pouvait, exister qu’à son détriment. Point d’alternative : stationnaire depuis plus d’un siècle, la Pologne devait reculer sa frontière ou y laisser pénétrer ses voisins. Toute autre appréciation de sa situation à cette époque est arbitraire et chimérique Pour s’en convaincre, il suffit de lire les conseils que lui a adressés l’un de ses meilleurs rois, Stanislas Leczinski, patriote éclaire et sincère[1]. Il n’est pas moins illusoire de penser que la France pouvait prévenir le démembrement en imposant sa volonté à la Russie, à l’Autriche et à la Prusse. On verra par des preuves authentiques combien il y a d’inexactitude à soutenir, ainsi qu’on l’a fait souvent sur mot apocryphe de Louis XV, que le duc de Choiseul aurait empêché le partage : le contraire résulte des documens émanés de ce ministre. Sans sa disgrace, qui sauva sa gloire, il aurait été forcé de prendre le rôle qu’il eut le bonheur d’abandonner à son successeur, le duc d’Aiguillon ; mais grace à l’habileté et au dévouement des amis de M. de Choiseul, l’opinion contraire a prévalu. Elle a prévalu à ce point que nous l’avons vue partagée par un homme d’état qui aurait dû connaître le secret des événemens passés, mais qui, à la vérité, tenait une trop grande place dans son temps pour songer beaucoup à ce qui n’était plus. Un jour, à la campagne, dans une de ces conversations familières où l’esprit de M. de Talleyrand se jouait avec tant d’éclat, on vint à parler de la Pologne : « Jamais, dit-il, le partage ne se serait fait de nos jours. — Et qui l’aurait empêché ? lui demanda quelqu’un. — La liberté de la presse, » répondit le prince.

Peut-être avait-il raison ; si la liberté de l’esprit existait sous Louis XV, c’était la liberté de la conversation et non celle de la presse, sans compter que, depuis la mort de M. le prince de Talleyrand, on a un peu émoussé cette arme à force de s’en servir. Cependant, même avec la liberté de la presse, on ne voit pas que les choses aient beaucoup changé pour la Pologne. La France ne pouvait pas plus la sauver alors qu’elle n’aurait pu la rétablir aujourd’hui. C’est ce qui ressortira de l’exposé des faits. Aujourd’hui comme alors, les reproches amers et sanglans ne lui ont pas été épargnés. Elle les a trop facilement acceptés. La France se laisse toujours accuser par quelconque veut bien en prendre la peine. Comme un brave, et insouciant chevalier, elle voit couler, en souriant, le sang de ses blessures. Mais, dira-t-on, « ce n’est pas elle qui est en cause ; le déshonneur de la France de Louis XV ne saurait retomber sur nous ; cette France n’est pas la nôtre. Il y a

  1. Œuvres du philosophe bienfaisant, tome II.