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Les blessés eurent ses premiers soins ; les munitions, l’aliment du combat, l’occupèrent ensuite. Les chefs arabes durent céder une partie de leurs mulets pour les transports du lendemain, et les cartouches de la cavalerie, du train des équipages, furent distribuées aux soldats. Le 6e bataillon de chasseurs enfin reçut l’ordre de partir en silence, sans sonnerie, vers deux heures, au milieu de la nuit, pour occuper les différens pitons, le long de la rivière, qui servaient encore de route à la colonne. Puis, ces dispositions arrêtées, chacun alla prendre un repos nécessaire. Dans le bivouac, nulle tristesse, nulle inquiétude, tous étaient fiers de cette journée, et le soir, au coin du feu, les causeries durèrent long-temps, car l’excitation de la poudre n’était pas encore tombée. Chacun racontait ses prouesses, chacun donnait un souvenir aux morts gardant une espérance pour le lendemain. Les cavaliers arabes étaient loin d’une si courageuse insouciance. Tristement accroupis près de leurs chevaux qui restaient sellés, enveloppés dans leurs burnous, ils passèrent la nuit en silence, sans feu, consternés. Non loin de là, l’ambulance offrait un affreux spectacle : on n’entendait que des gémissemens et des cris, tant ces blessures, reçues à bout portant, étaient horribles. Les plus grièvement blessés furent placés sous les tentes, les autres étendus aux environs, sur des couvertures. Nos trois uniques chirurgiens venaient tour à tour les panser, coupant, hachant ces chairs meurtries. Dans la nuit, huit amputations furent faites, et, à l’heure du silence, quand les feux étaient partout éteints, on voyait encore les pâles lumières de l’ambulance qui brûlaient près de nos mutilés. C’était à qui adoucirait leurs souffrances ; les officiers étaient tous venus serrer la main d’un ami, et encourager de leurs affectueuses paroles ceux qui étaient tombés, le matin, sous leurs ordres. Parmi les blessés du 4e chasseurs d’Afrique se trouvait un soldat nommé Cayeux. Se sentant mourir, il fit appeler son capitaine. Après lui avoir donné une dernière commission pour sa mère : « Remerciez aussi, lui dit le soldat, le colonel Tartas ; c’est un brave homme, il a toujours aimé ceux qu’il commandait ; dites-lui qu’en mourant un de ses soldats le remercie. » Touchant et beau souvenir pour le chef comme pour le soldat ! Dans cette même nuit, le docteur Laqueille, chef de l’ambulance, travaillait pendant quarante-cinq minutes l’épaule du capitaine Ribains, lui sauvant le bras, grace à son habileté. Durant toute cette longue opération, le capitaine Ribains, assis sur une caisse à biscuits, au milieu des morts et des mourans, se montrait aussi ferme envers la douleur qu’il avait été courageux dans le combat. Nulle plainte : de temps à autre, seulement, il ne pouvait s’empêcher de se tourner vers le docteur, lui disant : « Vraiment, docteur, vous me faites mal. » Ainsi chacun, chefs et soldats, faisait son devoir jusqu’au bout, et même un peu au-delà du devoir.