Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/1101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et quels singuliers patriotes que ceux qui peuvent écrire d’une telle façon et avec cette froide nonchalance, cette absence de passion sincère, ce sarcasme qui rit de lui-même ! Voilà un homme qui se proclame le plus libéral, le plus français, le plus indépendant d’entre les chefs socialistes, et il rit de la liberté qui n’est plus, il rit de la France qu’il proclame défunte, il rit de lui-même !

Jamais il n’y a eu dans aucun livre un aussi considérable emploi d’épithètes grotesques, d’injures fantasques, de métaphores ironiques. C’est le carnaval du langage. M. Proudhon fait passer sous nos yeux le bal masqué des deux dernières années, cette longue fête des fantômes. Il n’oublie aucun incident C’est un compte-rendu complet des orgies de l’année 1848 et de l’année 1849. Il nous fait voir entrant tour à tour dans la ronde effrénée tous les principaux acteurs de cette tragi-comédie, pastorale héroïque, arlequinade, comme il vous plaira. Personne, il faut lui rendre cette justice, n’a mieux peint l’aspect comique que présentait Paris après la révolution de février, sous le règne du gouvernement provisoire. Ecoutez le grotesque récit de ces temps déjà loin de nous, et devenus presque des temps fabuleux « Une ordonnance du ministre de l’instruction publique autorisait le citoyen Legouvé à ouvrir à la Sorbonne un cours d’histoire morale de la femme. Du reste, le public et la presse étaient à l’unisson de l’autorité. Un placard demandait que le gouvernement empêchât la sortie des capitaux et que M. de Rothschild fût mis en surveillance. La Démocratie pacifique, renant aussi l’initiative, demandait que la blouse fût adoptée pour uniforme par toutes les gardes nationales de la république, que des professeurs fussent envoyés dans les départemens pour démontrer aux paysans la supériorité de la forme démocratique sur la monarchique ; etc George Sand chantait des hymnes aux prolétaires ; la société des gens de lettres se mettait à la disposition du gouvernement. — Pourquoi faire ? C’est ce qu’elle ne disait point, et ce qu’on n’a jamais su. Une pétition, revêtue de cinq mille signatures, demandait d’urgence le ministère du progrès ; on n’aurait jamais cru, sans la révolution de février, qu’il y eût autant de, bêtise au fond d’un public français ; on eût dit le monde de Panurge. »

Oui, en effet, le monde de Panurge ! Que vous semble de ce tableau N’est-il pas complet ? N’est-ce pas là ce que vous, avez vu, et un réactionnaire comme vous et moi, un gouvernementaliste, un doctrinaire, pour employer le langage de M. Proudhon, aurait-il mieux dit ? Seulement nous ferons une toute petite observation. Nous aurions eu peut- être le droit d’écrire un semblable tableau, et de verser l’ironie sur les folies anarchiques que nous avons vues. N’y a-t-il pas inconséquence de la M. Proudhon à bafouer ainsi les sottises révolutionnaires ? Au fond, tous ces gens qui voulaient à toute force sauver la patrie, qui