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la vie pour l’étouffer, la pénétrant en tout sens, se substituant à elle ; il a esquissé le triomphe de la mort. La mort y prend l’apparence de la vie ; c’est elle qui vient, inspirant la colère et l’enthousiasme aux populations ; elle ne dit plus, comme autrefois : Tout est vanité, car elle chante au contraire les joies de la terre ; elle demande l’expansion la plus large des désirs, elle sait les secrets qui peuvent troubler les facultés, tuer l’esprit des vivans, et elle laisse errer leurs fantômes, qui, ignorant leur infortune, se croient toujours des êtres réels et bien portans.

En résumé, à quelle conclusion sommes-nous amené ? Le temps actuel n’a ni esprit, ni unité ni caractères. Si ce n’est pas la mort qui l’habite, au moins ce sont les rêves et les songes. Est-ce une raison pour désespérer ? Non certes. Le spectacle qu’on vous a montré n’est certainement pas très séduisant ; mais, lorsque la mort abonde, il est inutile et il est immoral de regarder le néant monter peu à peu sans oser se remuer afin de se sauver. Si par hasard nous sommes dans une ère de progrès, réjouissons-nous ; mais, si au contraire nous sommes dans une ère de décadence, ne l’acceptons qu’à notre corps défendant. Rassemblons et concentrons en nous ce qui nous reste de santé et de force. Il est salutaire, dans des temps pareils, de sentir redoubler en soi la vie et l’activité, et surtout il est bon de regarder et d’observer les traits des masques divers qui passent et le caractère des faits de chaque jour. Laissons nos adversaires devenir des ombres, laissons-les se disputer, sophistiquer comme des Byzantins ; laissons de côté nos demi-faits, nos chuchotemens, nos insinuations, nos âcres répliques, nos premiers-Paris à sens multiples ; ne nous laissons pas envahir par le sommeil ; n’oublions pas que nous avons charge d’ames, charge de nations et d’humanité. Ne nous inquiétons pas des institutions dans lesquelles nous sommes appelés à vivre, mais considérons-nous comme des hommes ayant à lutter à chaque instant pour leur vie, entourés de piéges et d’embuscades. Encore une fois, il n’y a qu’un moyen d’empêcher le triomphe du néant : c’est de se défendre à outrance et de réunir en un seul faisceau tous les phénomènes qui peuvent lutter contre la mort, selon l’expression de Bichat.

Chassons loin de nous tous les cauchemars et revenons à la vie, à l’activité, à la liberté ; c’est encore le meilleur moyen de rompre le charme. Oh ! qui fera jamais la danse de la vie ? qui fera jamais la contre-partie de cette horrible danse des morts ? qui donc consentira à prendre enfin la vie pour une chose sérieuse et pour un inestimable bien ? Le tableau est tout trouvé. Au lieu de s’entr’ouvrir pour engloutir les danseurs, comme dans les peintures du moyen-âge, la terre s’entr’ouvre pour laisser arriver à la lumière de beaux enfans aux couleurs de rose, qui entrent dans la ronde charmante. La ronde va s’élargissant,