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dans ses mains, durant toute une année d’agitation, le destin d’un peuple. Telle est la place que M. Kossuth s’est faite, et c’est quelque chose que d’y être parvenu, sans les faveurs de la naissance, dans un pays traditionnellement aristocratique. Quoique la prétention principale de M. Kossuth fût d’être un éminent financier, un administrateur essentiellement pratique, un diplomate machiavélique, ce n’était réellement qu’un orateur et un poète. À des auditeurs de sang-froid, il eût pu paraître froidement déclamatoire ; chez un peuple passionné, enthousiaste, il avait le don d’émouvoir grandement les coeurs. Et je dirai qu’à la différence de la plupart des orateurs qui parlent au peuple, d’O’Connell, par exemple, qui se croyait obligé souvent de se traîner dans le trivial pour être compris, M. Kossuth le prenait toujours de haut avec ses concitoyens. Le peuple magyar, comme tous les peuples de l’Europe orientale, a conservé dans le caractère une gravité et une élévation qui lui eussent rendu odieuse la vulgarité des sentimens et de l’expression, Mme Kossuth ne lui a jamais parlé que le langage de la poésie, de l’honneur, du courage, de la dignité nationale. On pourra lui reprocher à bon droit d’avoir perdu son pays, mais non d’avoir, comme d’autres tribuns, abaissé le sentiment moral, la conscience des populations. Veut-on savoir le secret de son influence ? C’est que la nation magyare respirait et vivait tout entière en lui ; elle pensait, elle parlait par sa bouche. Ce souffle lyrique qui l’agitait et l’exaltait, qui gémissait ou qui grondait dans sa voix, c’était bien le génie éperdu et orgueilleux de la race magyare. M. Kossuth est né Slovaque ; mais, possédé du désir de se faire un nom, il a long-temps prêté l’oreille à ces harmonies grandioses et tristes qui retentissent d’un bout à l’autre de l’histoire et du sol de la Hongrie. Il s’est si parfaitement assimilé les souvenirs, les espérances, la noblesse, les préjugés,les forces et les faiblesses de sa patrie d’adoption, que chacune de ses paroles éveillait un profond écho dans le cœur de tout Magyar. Vainement l’on eût entrepris de montrer aux populations que de la meilleure foi du monde, M. Kossuth, par incapacité politique, les entraînait à leur perte : la tentative eût été mal reçue, et le moindre malheur qui fût arrivé au donneur de conseils eût été de se voir éconduit aux cris mille fois répétés de : Elien Kossuth ! vive Kossuth ! vive le nouveau fondateur de la patrie, pater patriœ ! Si pourtant M. Kossuth avait toutes les qualités d’imagination qui brillent et séduisent, en même temps il avait tous les défauts des natures qui ne sont que vives et sensibles, l’irrésolution dans les conseils, l’inconstance dans les plans, le manque de mesure dans l’application, une fausse hardiesse et une fausse énergie. Enfin, dans la question spéciale des nationalités, par rapport aux vues et aux intérêts de la Pologne, il fut long-temps dominé par la crainte du slavisme. Sous l’habit de chaque soldat polonais, M. Kossuth redoutait toujours de trouver un